Brève histoire du Tradiland
Publié le 16 Février 2012
Alors que les échanges semblent s'interrompre entre Rome et la Fraternité Sacerdotale St Pie X (FSSPX), il n'est pas inintéressant de se pencher quelque peu sur la genèse de ce mouvement, pour mieux comprendre les rôles et responsabilités de chacun. L'objet de ce billet n'est pas de se prononcer sur le fait de savoir si les uns ou les autres avaient raison, mais de rappeler quels furent les acteurs de ces controverses.
* *
*
Au commencement était Mgr Lefebvre (1905 - 1991). Ordonné en 1929, consacré évêque en 1947, Mgr Marcel Lefebvre fut un spiritain, qui donna une grande partie de sa vie à l'Afrique, et plus spécialement à Dakar où il exerça son épiscopat, et y devint archevêque. Il revint en France en 1962, pour y être nommé évêque de Tulle, charge qu'il décline quelques mois plus tard lorsqu'il fut nommé supérieur général des spiritains. Il participa au concile Vatican II dans la frange la plus conservatrice, et la plus traditionnaliste qu'il rejoint à cette époque. C'est en 1969 que les choses se tendirent avec la publication du nouveau missel romain (nouvel ordo missae, la nouvelle messe), qu'il critiqua ouvertement. En 1970, il crée la FSSPX à Ecône, en Suisse, par la fondation d'un séminaire.
Au même moment, un moine, Gérard Calvet, crée un monastère à Ste Madeleine du Barroux, dans la tradition bénédictine, avec les deux piliers que sont la messe tridentine et le grégorien. Dom Gérard et Mgr Lefebvre se connaissent et s'apprécient mutuellement. Ils se fréquenteront régulièrement, au point que Dom Gérard et sa communauté seront officiellement exclus de l'ordre bénédictin, au moment où Mgr Lefebvre est déclaré suspens a divinis (c'est à dire officiellement interdit par Rome de distribuer les sacrements), en juillet 1976.
La situation avait dérapé quelques mois auparavant. En mai 1976, le pape Paul VI dans un discours au consistoire, tance Mgr Lefebvre. Mais il ajoute quelques éléments qui aggravent la situation, à propos du rite tridentin :
C'est au nom de la Tradition que nous demandons à tous nos fils, à toutes les communautés catholiques, de célébrer, dans la dignité et la ferveur, la liturgie rénovée. L'adoption du nouvel Ordo Missae n'est pas du tout laissée au libre arbitre des prêtres ou des fidèles. L'instruction du 14 juin 1971 a prévu la célébration de la messe selon l'ancien rite, avec l'autorisation de l'Ordinaire, uniquement pour des prêtres âgés ou malades, qui offrent le sacrifice divin sine populo (5). Le nouvel Ordo a été promulgué pour être substitué à l'ancien, après une mûre réflexion, et à la suite des instances du Concile Vatican II. Ce n'est pas autrement que notre saint prédécesseur Pie V avait rendu obligatoire le missel réformé sous son autorité, à la suite du Concile de Trente.
Si l'on peut comprendre la volonté de Paul VI de vouloir faire place au nouveau missel, sa volonté de le substituer à l'ancien de manière définitive choque les traditionnalistes. Le pape St Pie V, à la suite du concile de Trente, n'avait pas substitué de rite à un autre, il avait plutôt marqué dans le marbre le rite le plus commun, et reconnu comme saint depuis de longs siècles. En ce sens, la brutalité de cette décision ne passe pas, les noms d'oiseaux et les polémiques pleuvent de part et d'autre. La mise en oeuvre de cette décision est assez violente, et fait beaucoup de dégâts, la messe devenant en certains endroits du grand n'importe quoi. Les conservateurs ne comprennent pas que l'on puisse revenir de cette manière sur quelque chose d'aussi important que la liturgie, que les papes et la tradition avaient reconnu comme sainte. D'autant que beaucoup de catholiques, ballotés dans la crise, avaient perdu la foi dans ces années, mais la retrouvent ensuite grâce à Mgr Lefebvre. Ce qui explique la violence de certains de leurs réactions, toujours valables aujourd'hui.
* *
*
En 1977, après neuf tentatives infructueuses auprès de l'évêque de Paris pour disposer d'un lieu de culte dans la capitale, les fidèles traditionnalistes (rappelons alors que le tradiland de l'époque se limite à la FSSPX) choisissent "d'occuper" une église. C'est St Nicolas du Chardonnet qui est choisi. Mgr Ducaud-Bourget en est le curé jusqu'en 1984. Qui est remplacé à son décès par un tout jeune prêtre, l'abbé Laguérie. En 1989, celui-ci se fait remarquer par ses charges tonitruantes contre l'anniversaire de la Révolution Française. L'évêque de Paris n'a jamais fait exécuter la décision de justice qui ordonnait l'expulsion de la fraternité de cette église.
En mai 1982, répondant à l'appel de Jean-Paul II (en juin 1980, le pape lance à Longchamp : "France, fille aînée de l'Eglise, qu'as-tu fait de ton baptême ?" ), trois hommes du Centre Charlier lancent l'idée d'un pèlerinage sur les pas de Charles Péguy, entre Paris et Chartres. L'abbé Pozzetto, en demeure l'aumônier pendant vint-cinq ans.
En parallèle, depuis 1979, Mgr Lefebvre avait initié les premiers contacts auprès de Rome pour lui trouver un successeur, à la tête de la FSSPX (un évêque est indispensable pour ordonner les prêtres, donc pour la survie de la communauté). Les négociations se rompent brutalement en 1986 avec les journées d'Assise. Mgr Lefebvre est révolté par ce rassemblement qu'il perçoit comme du relativisme, et du nivellement par le bas de toutes les religions. Il condamne cette rencontre. Et cela le convainc, à tort ou à raison, qu'il ne peut rien obtenir d'un Vatican organisant de telles manifestations, qu'il estime contraires à la Tradition. Mgr Lefebvre sentant sa fin approcher, décide, après d'ultimes tractations (durant lesquelles il avait donné, puis retiré son accord à une proposition du cardinal Ratzinger ), de se passer de l'autorisation de Rome pour sacrer 4 prêtres comme évêques de la fraternité St Pie X. Il choisit pour cela les abbés Fellay, de Galaretta, Tissier de Malleray et Williamson en juin 1988. Tout ceux qui participent à ce sacre sont excommuniés d'office (latae sentenciae, règle introduite par Pie XII pour éviter le sacre d'évêques chinois communistes), ce que la FSSPX contestera toujours, avec l'idée qu'il y avait un "état de nécessité" justifiant cette décision. C'est la raison pour laquelle jamais ils ne se sont considérés comme réellement hors de l'Eglise.
Néanmoins, une grande partie de celle-ci n'accepte pas ce geste, et décide donc de s'en aller. Et de jouir des nouvelles dispositions immédiatement proposées par le pape Jean-Paul II à la suite du sacre, dans son Motu Proprio "Ecclesia Dei Afflicta" où, en plus du statut canonique, du droit à la messe tridentine et aux sacrements pour les demandeurs, il demandait aux évêques nationaux une autorisation de célébrer le rite tridentin de manière "large et généreuse", disposition qui sera appliquée très modestement. On parlera donc ensuite des communautés Ecclesia Dei pour désigner les communautés vivant sous ce régime.
* *
*
Ainsi naquit la fraternité St Pierre. Qui fut rejointe par l'abbaye du Barroux, citée plus haut, l'abbé Pozzetto, et avec lui, le pèlerinage de Chartres. Ce pèlerinage étant devenu une coutume, un autre pèlerinage fut créé par la FSSPX le même week-end que son frère jumeau, mais dans l'autre sens, entre Chartres et Paris.
Bien auparavant, des séminaristes en difficulté dans des séminaires diocésains s'étaient réunis pour discuter des possibilités de célébrer le rite tridentin, sans passer par la solution FSSPX. De ces discussions nait en 1990 l'Institut du Christ Roi Souverain Prêtre, dirigé par Mgr Wach, qui plante son séminaire en Toscane, à Gricigliano. La spiritualité y est d'inspiration salésienne. Leur fief français devient l'église de Port Marly qui avait été également occupée par ses paroissiens en 1986, et sera reconnu par le diocèse une dizaine d'années plus tard. La différence majeure de cet l'Institut avec la fraternité St Pierre est qu'ils acceptent, une fois par an, les concélébrations, ou dit autrement, d'entourer leur évêque lors de la messe chrismale du Jeudi Saint, concélébrations qui sont généralement refusées par les prêtres célébrant la messe tridentine.
Enfin, en 2005, profitant de l'élection de Benoit XVI, et de son herméneutique de la continuité (l'idée qu'il faut lire le concile Vatican II à la lumière de la Tradition, c'est à dire des enseignements accumulés de l'Eglise) les deux fortes têtes de la FSSPX, que sont les abbés Laguérie et Tanoüarn, la quittent pour fonder l'Institut du Bon Pasteur, dans le cadre des communautés Ecclesia Dei. A cette occasion, le Vatican accepte que ces communautés fassent une critique légitime et mesurée du concile. Ils s'installent à Bordeaux, dans l'église St Eloi, et à Paris, au Centre St Paul, et ils seront victimes du reportage des Infiltrés que j'ai déjà évoqué.
* *
*
Entre-temps, la FSSPX avait posé des "exigences" au retour des négociations avec Rome, qui étaient la libéralisation du rite tridentin, et la levée des excommunications des 4 évêques. La première mesure est déclenchée par Benoit XVI le 7 juillet 2007, par le Motu Proprio "Summorum Pontificum Cura", et la seconde est accordée le 21 janvier 2009, au prix d'une polémique très importante pour le pape. Les discussions doctrinales entre les deux parties commencent alors, et aboutissent à un préambule que la FSSPX doit accepter pour "revenir" dans l'Eglise. Préambule qu'elle a pour le moment refusé. Maintenant que le rite tridentin est libéralisé, ce qui pose problème sont les nouveaux éléments avancés par le concile Vatican II qu'ont été l'oecuménisme, la liberté religieuse et la collégialité, et dont la FSSPX conteste la pertinence. En outre, se pose la question du statut canonique de la FSSPX, c'est à dire le régime juridique dont elle pourrait disposer une fois reconnue. Les évêques ne souhaitant pas particulièrement son intégration, le plus simple serait un statut dépendant uniquement du pape, comme une prélature personnelle, à la manière de l'Opus Dei. Voilà où nous en sommes aujourd'hui.
Ainsi nous retrouvons donc avec la carte du Tradiland que je dois à un ami de la FSSPX. La taille des caractères des noms est lié au nombre de vocations dans la communauté.
* *
*
Quelques précisions diverses:
Je passe sur les histoires de paroisses, de transfert de prêtres entre fraternités, ou même entre l'Eglise et les diverses communautés, il y en a pour tous les goûts et dans tous les sens. Toujours est-il qu'on peut signaler que la fraternité St Pierre, malgré sa fidélité au St Siège, n'a toujours pas de paroisse à Paris, que le Bon Pasteur y dispose d'un lieu qui ressemble à tout, sauf à une église. Les paroisses avec la messe en latin sont desservis par des curés diocésains à St Eugène - Ste Cécile ou Notre Dame du Lys, mais les communautés Ecclesia Dei n'y ont pas de lieu dédié. Enfin, la FSSPX est toujours présente à St Nicolas du Chardonnet.
Les sédévacantistes sont la branche la plus extrême des traditionnalistes. Cette option, qui a toujours été refusée par Mgr Lefebvre, représentent ceux qui considèrent que le siège de Rome est vide (vacance du siège) et que le pape d'après Vatican II ne peut être qu'un anti-pape. Un des leurs, héritiers des dominicains, le père de Blignières, qui avait été très vigoureux dans sa lutte contre Rome dans le cadre de sa fraternité St Vincent Ferrier, est revenu dans l'Eglise, et a renié ses errements passés. Mgr Williamson, représentant l'aile dure de la FSSPX, a parfois tendance à flirter avec cette tendance sulfureuse, lui causant de nombreux soucis en interne.
J'ai évité de parler des communautés proches mais non traditionnelles. Pour prendre deux exemples complètement opposés, la communauté St Martin ou la Contre-Réforme Catholique sont des satellites de cet univers, mais n'y ont pas leur place. La première s'est axée sur le respect de la liturgie dans le cadre du nouveau missel, notamment par l'utilisation du latin, le port de la soutane pour les prêtres mais n'a pas de lien direct avec le rite tridentin. Tandis que la deuxième n'est pas loin d'une secte dont le fondateur, l'abbé de Nantes, a toujours extrêmement violemment critiqué les autorités pontificales depuis le concile.