Psychanalyse : réponse à objections

Publié le 4 Juillet 2012


A la suite d'une émission de Guy Corneau disponible sur son blog, François Rigal, que je lis régulièrement et dont je vous invite à lire le billet pour comprendre ce qui suit, avance certains arguments à l'encontre de la psychanalyse. Connaissant un peu le sujet, ce qui a occasionné la raréfaction de ma présence sur ce blog, je me permets de poser quelques objections à ses éléments. D'autant que j'ai lu certains des ouvrages de Corneau, que j'ai trouvé, pour ma part, excellents.

Elément important également, on constate régulièrement les ravages que peut procurer la psychanalyse mal pratiquée, ce qui est un drame. Il y a probablement autant d'incompétents que dans les autres professions, mais du fait de leur accessibilité à l'humain, et leur influence, la mauvaise pratique rejaillit vite sur le concept même de psychanalyse.

Par ailleurs, toutes les solutions sont chez le patient, le psy se contente juste de les faire sortir, apparaitre et leur donne une réalité pour les reproposer au patient. Ça marche ou ça ne marche pas, les idées peuvent parler ou ne pas parler au premier concerné. C'est donc un processus long, à tâtons, personnel, impliquant, qui ne peut être réduit à un groupe de parole d'une heure, comme le fait l'émission. Les idées doivent venir et revenir sans cesse jusqu'à tant que le patient les fasse véritablement siennes. En gros, faire passer les idées de la tête aux tripes.

Rigal fait la liste, dans son billet, de toutes les pistes autres que psychanalytiques qui pourraient expliquer un désordre de vie quelconque. J'en fais sommairement la liste ici, il m'excusera de réduire son propos à la plus simple expression, je vous renvoie à son billet pour de plus amples détails :
1) désordre physique
2) stratégie erronée
3) dérèglement ou maladie physiologique
4) hygiène de vie
5) habitude néfaste par rapport à la récompense
6) principe de Pavlov, historicité des habitudes
7) frustration par rapport à un désir
8) qualité de vie
9) reconnaissance
10) croyance en la psychanalyse

J'ai rapidement regroupé ces questions par thématiques, certaines se recoupant de manière évidente.

1) - 3)
Tout d'abord, un psychanalyste ne travaille pas seul. L'une des premières étapes du travail psychothérapeutique, c'est d'envoyer le patient chez un médecin dont le rôle est de détecter les pathologies, les carences, et maladies. Il est évident que le mal-être physique existe en-dehors de toute explication psychanalytique. C'est la grande bêtise de certains psys freudiens qui estiment, à l'encontre de toutes les évidences médicales, que les parents d'enfants autistes sont plus ou moins responsables inconsciemment de la pathologie de leurs enfants. Tout l'enjeu de la polémique du film le Mur. Mais il est évident également qu'une mauvaise santé psychique laisse le champ libre à des pathologies, à une mauvaise santé, cette fois physique. Et qu'il y a des gens plus ou moins enjoués que d'autres, plus ou moins sympathiques ou accessibles. On peut rééquilibrer à coups de médicaments ou de produits divers et variés, mais ne doit-on pas d'abord vérifier que les tempéraments soient à peu près équilibrés ?

Le psy envisage donc bien l'option physiologique, c'est juste qu'elle n'est pas incluse dans la vidéo de Corneau, mais fait plutôt partie des prérequis avant que la thérapie ne commence réellement. Ce n'est tout simplement pas son travail.

4) - 8)
Qualité de vie et hygiène de vie. A mon sens, une qualité et une hygiène de vie perfectibles sont des conséquences du mal-être intérieur, plutôt qu'un véritable choix. Ainsi, certains patients n'éprouvent le besoin de ranger leur appartement, ou leur chambre, que lorsqu'ils n'ont plus de question importante en suspens dans la tête, et donc, qu'ils peuvent s'occuper des choses "accessoires" que sont le rangement ou la qualité de vie. L'ordre qui règne dans leur appartement est donc tout simplement le reflet de l'ordre de leurs idées. Et il est certain que c'est différent chez tout le monde, avec plus ou moins de nuances. Certaines personnes vivent l'exemple opposé, dés qu'elles ont quelque chose en tête d'assez violent, il faut absolument que tout soit rangé impeccablement, parce qu'elles ont besoin de se rassurer dans la tourmente, de s'accrocher à des choses structurées, claires et limpides, dans leur environnement proche, alors que leur psyché traverse des tourments lourds. L'important est donc d'être lucide sur les raisons qui poussent à tel ou tel comportement. Améliorer la qualité de vie pour l'améliorer est certes intéressant, et peut donner des résultats probants, mais ce n'est généralement pas cela qui est le problème le plus important du patient. Ce n'est que le symptôme de quelque chose de plus profond.

2) - 5) - 6)
La stratégie erronée. Mais pourquoi est-elle erronée alors que le patient pensait justement choisir la bonne puisque c'est celle qu'il a optée ? C'est justement à cette question que répond la psychanalyse en cherchant les raisons sous-jacentes qui l'ont fait choisir telle stratégie plutôt que telle autre. Vérifier également le rapport du patient avec la réalité pour confirmer qu'il ait bien les pieds sur terre et ne se crée pas un imaginaire complétement déconnecté. Remonter dans le processus de décision. Pour une analyse approfondie des affects qui l'ont motivé.  Ce qui rejoint le principe de Pavlov, il faut déminer les raisons qui ont entrainé l'individu dans cette répétition d'actes qui n'a plus de raison d'être et qui entraine à l'échec. Tirer les leçons du vécu pour construire un nouvel avenir.

7)
Les frustrations, justement ce que fait un psy toute la journée. A quoi correspond-elle ? Quel est le besoin non satisfait exprimé par cette frustration ? Là encore, il faut explorer la raison de la frustration qui n'est pas forcément évidente. Généralement, à la base de toute problématique, il y a un manque d'estime de soi-même, le travail consistant donc à cerner comment ce manque se caractérise et se traduit. Par exemple, Rigal critique la croyance que le passé expliquerait tout. Il me semble que c'est erroné, on peut être frustré de voir un désir, tout à fait naturel, non réalisé. Désir naturel pas forcément lié au passé. On compense quelque part parce qu'on échoue ailleurs sur un projet quelconque. On boit de l'alcool parce qu'on est arrivé second, dernier, que sais-je, à une course à laquelle on tenait. Ce n'est pas un drame, nul besoin de remonter aux parents, c'est juste une compensation par rapport à un événement donné. Encore faut-il que le patient soit lucide sur ces points. Mais il est probable que pour un simple événement, il n'y aura pas d'habitude compulsive enclenchée, là encore, la névrose n'est que le symptôme de quelque chose de plus profond.

9)

La chose qu'on développe le plus en psychanalyse, c'est finalement déminer et retirer toutes les blessures intérieures qui minent notre compréhension de nous-mêmes. Pour développer une juste estime de soi-même. Non pas une estime égocentrique ou déséquilibrée, mais tout simplement la reconnaissance de la merveille qu'est chaque individu. Et une fois que cette estime de soi-même est acquise, par rééquilibrage interne, l'individu a nettement moins besoin de la reconnaissance sociale (ou il peut chercher à en avoir plus, s'il est complétement introverti à la base, là encore, tout dépend des cas). Ayant moins besoin de se tourner vers les autres pour se prouver qu'il vaut la peine d'être aimé/admiré, il est tout simplement plus naturel à l'endroit où il est, et diminue de facto son comportement déséquilibré. A charge pour lui si besoin est de changer d'environnement, de métier, en fonction uniquement de ses aspirations profondes.

 

10)

Il est fort possible que la psychanalyse ne fonctionne pas pour tout le monde, je n'ai pas d'idées sur la question hors celle que toute généralisation est souvent absurde. Pour autant, non, l'histoire des personnes n'est pas la "cause" de leur déviance. L'aboutissement du travail en psychanalyse est de dépasser le vécu, les douleurs personnelles en tout genre, pour en tirer la leçon à l'avenir. C'est un vrai travail d'exploitation des richesses que le plus humble ou le plus déprimé des individus porte en lui. Qu'il y ait des moments où il faut arrêter de se regarder narcissiquement, c'est absolument évident, mais de la même manière, il est évident qu'il y a des moments où il faut arrêter le flux de l'action, de la vie, se poser un peu pour tirer les leçons de ce qu'on a vécu, histoire de pouvoir mieux s'orienter. Au fait, suis-je vraiment certain d'être à ma place ? Dans notre société, la connaissance sous toutes ses formes, l'expertise, est mise en valeur, mais la connaissance de soi est singulièrement négligée (reconnaissons que c'est tout de même de moins en moins le cas).

 

 

Au fond, les souffrances psychologiques, et les différentes addictions ne sont que des formes de crispations particulières, qu'il s'agit de débloquer une à une, en remontant à la source. Dans le but de laisser place à quelque chose d'autre, de plus sain, de plus vivant. En ce sens, la crispation est terriblement humaine, mais le lâcher-prise est tout simplement divin. Et c'est dans le lâcher prise que se situe la détente et la solution. Comme le disait Ambroise Paré, mais c'est vrai également en psychanalyse : "Le médecin soigne, mais c'est Dieu qui guérit".

Trés schématiquement, la psychanalyse, notamment freudienne, considère qu'on peut tout expliquer par l'histoire individuelle, mais les thérapies jungiennes (du nom de Carl Jung, meilleur élève de Freud) ne partagent pas tout à fait ce point de vue. Ce serait un enfermement réducteur de chaque être humain. La nuance est d'importance. L'histoire n'explique pas tout, il y a aussi le désir de l'individu, sa volonté de construire. Ce n'est pas parce qu'un désir s'explique très correctement, et très rationnellement (par le passé, les blessures familiales), qu'il n'y a pas un désir juste, et qui corresponde profondément à l'individu. L'homme, c'est ce que nous apprend le catholicisme, et les grandes spiritualités, est plus grand que l'homme. L'homme est habité d'un désir plus grand que lui-même. La psychanalyse jungienne se contente juste de dégager ce désir pour le verbaliser, pour mettre l'individu dans l'axe de ce désir, et lui donner les moyens de le mettre en oeuvre. C'est un désir en quelque sorte divin, ou peut-être pourrait-on dire, "vocationnel" : ce pour quoi l'individu est fait. Bien entendu, il faut se méfier de l'idée de vocation dans le sens où personne ne peut s'approprier une mission qui n'est jamais que donnée, mais il est clair également qu'il y a des choses qui collent naturellement mieux à l'individu que d'autres.

 

En d'autres termes, faire en sorte que chaque individu soit à sa place, c'est tout simplement l'objectif de la psychanalyse jungienne.

Rédigé par Polydamas

Publié dans #Société

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P
Bonjour, <br /> <br /> Je découvre actuellement la blogosphère catholique, et par conséquent, je passe sur votre blog. J'ai beaucoup apprécié cet article qui a le mérite de vouloir défendre la psychanalyse encore trop souvent décriée. Il n'y a pas que les catholiques pour la critiquer... On lui reproche souvent son manque de scientificité pour essayer de mettre en avant d'autres méthodes thérapeutiques qui se disent scientifiques... Mais un coup d'oeil averti permet de se rendre compte que leur prétention à être scientifique est abusive. Ce n'est pas parce que vous collez des statistiques partout (d'autant que tout statisticien sait comment il est facile de leur faire dire exactement ce que l'on veut) dans une fétichisation du chiffre... Que l'on donne une dimension scientifique à une position idéologique voire mercantile... qui ni l'une ni l'autre ne sont scientifiques.<br /> <br /> Les critiques des catholiques sur la psychanalyse touchent souvent à l'impression qu'ils ont que la psychanalyse donne une importance écrasante à la sexualité (sauf que notre monde ne fait jamais que de nous prouver que c'est là une question terriblement importante), en oubliant que la psychanalyse traite surtout de la question du désir au sens large (le sexuel/génital n'en étant qu'un de ses aspects)... Et surtout le risque qu'elle pourrait faire courrir à la Foi en poussant son analysant à se poser trop de question sur son rapport à Dieu et à l'Eglise.<br /> <br /> Il est clair qu'une analyse ne laisse jamais celui qui s'y risque comme il était avant de la commencer. Il est certain qu'elle peut amener le croyant à opérer un déplacement; un pas de côté dans la façon dont il va se mettre à appréhender la religion... Mais mon expérience personnelle de la psychanalyse m'a surtout permis de débarasser mon rapport à Dieu de tout un tas de scories et d'illusions qui m'éloignaient de l'essentiel de son message. Jamais elle ne m'a fait perdre Foi en Lui! <br /> <br /> Et si je vous disait que Françoise Dolto était une fervente catholique? Son grand ami Jacques Lacan, qui a révolutionné la psychanalyse et l'a modernisée après la seconde guerre mondiale, était parfaitent au courant. Et lui qui a fait école... A pu dire qu'il considérait que la Foi ne saurait être réduite à une simple question de défense névrotique ou d'illusion archaïque! Bon... D'accord... Beaucoup de ses disciples l'ont oublié et entendent faire de la psychanalyse une discipline prônant l'athéisme... Ces gens qui admiraient Dolto avant qu'elle ne révèle sa Foi après sa retrait, se sont curieusement mis à la trouver nulle après... C'est-y pas étrange? Pourtant... Lacan a formé des prêtres à la psychanalyse. Si certains se sont rendus compte qu'ils avaient alors choisi le sacerdoce pour de mauvaises raisons et l'ont quitté... D'autres sont restés prêtres... Et je connaîs même un psychiatre psychanalyste, qui est devenu prêtre après sa propre analyse !<br /> <br /> La Foi est une grâce que Dieu nous fait. La psychanalyse est très efficace pour traiter nos névroses, dépressions, angoisses, etc... Mais elle n'est pas plus forte que les Grâces que Dieu nous offre! En ce qui me concerne elle m'a aidé à comprendre ce que j'avais compris de travers lors de mon éducation religieuse et pourquoi je l'avais compris de travers... Et cette levée des incompréhensions... Elle m'a permis de cesser d'en vouloir à Dieu de tout ce qui m'éloignait de lui, et de reprendre mon chemin de chrétien.<br /> <br /> A très bientôt certainement,
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