La crise des subprime pour les nuls.

Publié le 24 Janvier 2008

Un très bon article de Jacques Gravereau. Pour ceux qui auraient encore un peu de mal.

Dans la superbe crise financière qui vient de nous sauter à la figure, l'immobilier américain avec ses subprime a bon dos : ce n'est pas le fond de l'affaire. Toutes les crises financières se ressemblent, seul l'objet change [les tulipes (1637), le sucre (1974), Internet (2001)...]. Le problème, cette fois, est que l'on ne comprend plus rien à la nature et au contenu du papier à financier, tant les acteurs ont fait preuve de créativité et tant les sommes en jeu sont colossales.

Au départ tout est simple. Il s'agit d'élargir l'accès au marché immobilier américain à tous les ménages, même les plus fragiles. Les banques prêtent donc aux dits ménages en créant une prime exceptionnelle (subprime) pour le risque de défaut. Elles vont ainsi détenir dans leurs comptes une quantité de papier, contrepartie de ces prêts risqués, qui sont autant de revenus futurs au fur et à mesure des remboursements supposés. Rien que du potentiel positif donc.

Les banques vont alors construire une fusée à trois étages, de plus en plus gros et opaques. Ces trois étages s'appellent ABS (asset backed securities), CDO (collateralized debt obligations) et SIV (spécial invest-ment vehicles). La clé pour comprendre le problème est le concept de « titrisation » : on amalgame tous les papiers financiers que l'on détient et on compose un gros paquet virtuel découpé par morceaux. Ces morceaux sont revendus à d'autres banques, dotés d'une valeur et d'un cours.

Quatre fois le PIB de la France ! Le premier étage de la fusée est constitué, pour la titrisation, des ABS, apparemment solidement gagées : deux tiers sur des hypothèques immobilières (mais, à quelle valeur réelle ?) et un tiers sur d'autres actifs financiers, comme les cartes de crédit par exemple. Les ABS à elles seules représentent 10 700 milliards de dollars, ce qui donne le vertige (4 fois le PIB de la France !), lorsqu'on sait que le PIB mondial (2007) représente 50.000 milliards de dollars et la masse des dépôts bancaires mondiaux 38.500 milliards de dollars.

C'est là qu'intervient la finance dite « structurée » pour construire le deuxième étage de la fusée. Une banque d'affaires rachète des titres d'ABS et en compose un nouvel assemblage (un bout de subprimes pourries, un bout d'obligations un peu moins mauvaises, un bout de cartes de crédit, etc.) qu'elle empaquette dans un nouvel em-ballage, appelé CDO. Il est le résultat d'une cuisine interne opaque que seuls quelques matheux créatifs comprennent, sans maîtriser les créatures étranges sorties de leurs laboratoires.

Ces banques commencent alors à vendre massivement des CDO, toujours plus sophistiqués, qui se mettent à circuler sur le marché. Leur nombre et leur composition font qu'ils acquièrent une valeur virtuelle magique, à laquelle personne ne comprend plus rien, même les professionnels qui les achètent. Mais dans la sphère financière il est très tendance de fabriquer et d'acheter du CDO, comme des moutons de Panurge. En outre, les agences de notation se mettent à attribuer des notes aux CDO. Or nombre d'entre eux dotés de la meilleure notation contiennent aussi des subprimes pourries : une fois encore, les analystes sont pris la main dans le sac de conflits d'intérêts, sinon d'incompétence. Avec le foisonnement des CDO (400 milliards de dollars émis pour la seule année 2007), on ne sait plus où est le risque, qui détient quoi, qui fait quoi ! Le troisième étage de la fusée est prêt à entrer en action. Il est diabolique.

Pas de rapports fastidieux. La rotation des CDO rapporte énormément d'argent, mais ils sont trop visibles. Les ABS et les CDO ne sont que des instruments. Les banques se mettent donc à créer des « véhicules » d'investissement (SIV), ou « tuyaux » (conduits en américain) domiciliés à droite et à gauche, où elles mettent des tonnes de CDO de toutes sortes. Les SIV sont hors bilan (Enron où es-tu ?), ce qui est commode : pas de rapports fastidieux, pas de ratios Cooke, ces « véhicules » sont contrôlés par la banque sans (techniquement) lui appartenir, ils se refinancent sur le papier commercial à court terme, ils ont le rendement exceptionnel des CDO. Les SIV rappellent furieusement les investment trusts de la crise de 1929... qui avaient explosé dans la tourmente.

C'est l'aubaine du siècle. Tout le monde se rue sur le papier, d'autant plus que les transactions électroniques accélèrent  considérablement la vitesse de circulation des capitaux. Les banques créent du papier supplémentaire pour alimenter la demande, exactement comme pour les assignats. En pleine euphorie, la sphère financière, si l'on peut dire, marche sur la tête. 
  

Cependant, malgré tous les effets négatifs que l'on constate aujourd'hui, il faut bien constater que ces "subprime" ont tout de même permis l'accession à la propriété de nombreux Américains.


Rédigé par Polydamas

Publié dans #Finance

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Z
Bonjour, serait-il possible d'avoir les sources de cet article ? (titre, revue ou site internet)Merci d'avance.
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P
<br /> Il s'agit de la Tribune.<br /> <br /> <br />
G
Ces prêts ont permis l'accession à la propriété de nombreux Américains, certes, mais combien d'entre eux vont-ils faire défaut, et donc perdre la propriété en question, après avoir payé des intérêts supérieurs au prix normal du marché pendant plusieurs années ? Parmi ceux qui surnageront,  combien ont surpayé leur logement, le crédit facile ayant alimenté la hausse des prix de l'immobilier ? Et combien vont souffrir de la dévalorisation généralisée des quartiers où de nombreuses maisons sont en vente suite au défaut de paiement de leurs propriétaires ?Prêter de l'argent à quelqu'un qui ne pourra pas rembourser, ce n'est certainement pas un cadeau à lui faire.
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P
Il représenterait environ 15% des subprimes. Même si, dans le pire des cas, il venait à doubler, le taux de défaut est important, mais n'est absolument pas majoritaire.Reste qu'il s'agit d'une innovation financière parmi d'autres (les actions aussi ont fait l'objet de bulles) dont l'erreur principale a été de corréler la hausse des crédits à la consommation, par la hausse de l'immobilier, là, en effet, c'est un processus contestable. Mais sinon, pour le reste, je n'y vois rien de très répréhensible, sachant que les prix de l'immobilier ont aussi été tirés par la croissance économique.