Béatification d'un libéral

Publié le 16 Novembre 2007

Ce dimanche a lieu la béatification d'un penseur méconnu, et qui a pourtant, marqué certains des plus grands philosophes de son époque, l'abbé Antonio Rosmini Serbati (1797-1855). On pourrait résumer ses thèses en affirmant qu'il est le défenseur d'un libéralisme catholique, expurgé de toute référence aux Lumières athées et anti-chrétiennes.

Malgré cela, ses théories furent condamnés par Léon XIII à plusieurs reprises, deux de ses ouvrages ayant été mis à l'index, et surtout, par un décret doctrinal condamnant  un résumé de son oeuvre, via 40 propositions, en 1887.

Le cardinal Ratzinger, en tant que supérieur de la Congrégation pour la doctrine de la Foi, a levé cette condamnation en 2001. Cette décision prêta à polémique, Léon XIII ayant spécifiquement visé les interprétations particulières de cette doctrine, et notamment, les arguments que Ratzinger a utilisé un siècle plus tard. Ainsi, le cardinal explique dans sa note qu'il faut lire l'abbé Rosmini, non pas avec la vision évidente apparaissant à la lecture, mais avec la vision de l'auteur. Argument que Léon XIII avait également condamné.

Cette condamnation s'explique mieux lorsque l'on sait que l'abbé Rosmini est hostile à une religion d'état, ce qui n'est pas tout à fait le point de vue de l'Eglise. Il est également hostile à toute forme de collectivisme, de projet englobant, d'une idée d'une société qui agrégerait les individus contre leur gré. Nuances qui vont à l'encontre du néo-thomisme, dominant au Vatican au XIXe. Malgré cela, on trouve dans sa pensée, des éléments tout à fait intéressants sur les dérives de notre époque.

On peut trouver ici, quelques extraits de son oeuvre, qui dénoncent l'utopie des Lumières et le paradigme socialiste :

"Le perfectisme – c’est-à-dire ce système qui estime que la perfection est possible dans les choses humaines et qui sacrifie les biens présents à la perfection future que l’on envisage – est un effet de l’ignorance. Le perfectisme est un préjugé présomptueux selon lequel on juge trop favorablement la nature de l’homme, en se basant sur une pure hypothèse, sur un postulat inadmissible et avec un manque total de réflexion sur les limites naturelles des choses."

Le perfectisme ignore le grand principe de la limitation des choses; il ne se rend pas compte que la société n’est pas composée d’"anges confirmés dans la grâce", mais plutôt d’"hommes faillibles". Il oublie que tout gouvernement "est composé de personnes qui, étant des hommes, sont toutes faillibles".

Le perfectiste ne fait pas usage de sa raison, il en abuse. Les plus intoxiqués par l’idée néfaste du perfectisme sont les utopistes. Promettant le paradis sur terre, ces "prophètes du bonheur démesuré", mettent tout en œuvre pour construire de très respectables enfers pour leurs semblables.


 Evidemment, il exclut de cette critique toute référence au christianisme.

Antiperfectiste, à cause de l'"infirmité des hommes" naturelle, l'abbé Rosmini – toujours dans "Philosophie de la politique" – s'empresse de rappeler que les flèches qu'il décoche contre le perfectisme "ne sont pas destinées à nier la perfectibilité de l'homme et de la société. Que l'homme soit continuellement perfectible tout au long de sa vie: c'est là un bien précieux, un dogme du christianisme".


Son libéralisme est visible à ces propos, où il n'hésite pas à lier propriété et liberté de la personne:

"La propriété – écrit-il dans 'Philosophie du droit' – exprime vraiment cette union étroite entre un objet et une personne. […] La propriété est le principe d’où dérivent les droits et les devoirs juridiques. La propriété constitue une sphère autour de la personne, dont celle-ci est le centre: personne d’autre ne peut entrer dans cette sphère".

Le respect de la propriété d’autrui est le respect de la personne d’autrui. La propriété privée est un instrument de défense de la personne contre l’envahissement par l’état.

La personne et l’état : la première est faillible, le second n’est jamais parfait


Plus généralement, il dénonce les utopies et l'autoritarisme qui viserait à contrôler la parole publique.

L'utopie – affirme l'abbé Rosmini – est le "tombeau de tout vrai libéralisme". "Loin de rendre les hommes heureux, elle creuse l’abîme de la misère; loin de les ennoblir, elle les rend ignobles comme les brutes; loin de les pacifier, elle introduit la guerre universelle, remplaçant le droit par le fait; loin de distribuer les richesses, elle les accumule; loin de modérer le pouvoir des gouvernements, elle le rend totalitaire; loin d’ouvrir à tous la concurrence sur tous les biens, elle détruit toute concurrence; loin de développer l’industrie, l’agriculture, l’art, le commerce, elle leur retire tous leurs stimulants, en empêchant la volonté privée ou le travail spontané; loin de pousser les esprits à de grandes inventions et les cœurs aux grandes vertus, elle comprime et écrase tout élan de l’âme, elle rend impossible toute noble initiative, toute magnanimité, tout héroïsme; et la vertu elle-même est exclue, la foi en la vertu elle-même est anéantie".

"Les individus qui forment un peuple ne peuvent pas se comprendre s'ils ne se parlent pas beaucoup; s'ils ne s'affrontent pas avec vigueur; si les erreurs ne sortent pas des esprits et si, s'étant pleinement manifestées, elles ne sont pas combattues sous toutes leurs formes".


On peut lire également son scepticisme face aux effets pervers de l'assistanat, remplaçant toute forme de charité:

"La bienfaisance gouvernementale – affirme-t-il – a une lourde charge à porter face aux plus graves difficultés. Elle peut s’avérer non pas avantageuse, mais très dommageable non seulement pour la nation, mais précisément pour la classe pauvre à qui elle prétend faire du bien. En ce cas, au lieu de bienfaisance, c’est de la cruauté. Bien souvent c’est de la cruauté justement parce qu’elle assèche les sources de la bienfaisance privée, en décourageant les citoyens d'aider les pauvres, parce que l’on croit qu’ils sont déjà secourus par le gouvernement, alors qu’ils ne le sont pas, qu’ils ne peuvent pas l’être, sinon dans une faible mesure".


Pour approfondir ce sujet, je vous recommande de lire cette page de Liberté Politique ou d'explorer ce site, le Centre Français des Etudes rosminiennnes, avec notamment un article de sa biographe française.

Et maintenant, la question est la suivante.  Les catholiques anti-libéraux vont-t-ils parler de cette béatification, eux qui sont toujours prompts à dénoncer le libéralisme, mais dans le même temps, toujours décidés à soutenir le Saint Père ?

Merci au Forum Catholique et à Liberaux.org.
 

Rédigé par Polydamas

Publié dans #Religion

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A
"Tu n'as pas tort pour la baisse de la démographie. Reste à savoir qui va en faire les frais, avec les déplacements de population en masse.... :-)"et comme, dieu merci, on ne renverra pas les "femelles aux fourneaux"..... :) il n'y a qu'une solution....la re-orientation de notre propre population (formations et enseignements organisés en fonction des besoins et de notre démographie) couplée à une politique d'immigration économique.... !"Et pour ma part, il s'agit clairement d'une société fondée sur les valeurs proches de la doctrine sociale de l'Eglise."c'est ça!....de mon côté...la société (au sens politique du terme, donc celle régie par un Etat) doit être bien séparée de l'Eglise....je dirais meme très très très séparée...enfin bref....pour revenir sur le rôle très dommageable de l'etat, j'ai lu aujourd"hui que le gouvernement voulait re-imposer la redevance télé aux personnes agées de plus de 60 ans à faible revenus qui en étaient exonérées....je crois rêver tellement ce genre de racket gouvernemental me choque....piquer 116 euros à des vieux qui touchent à peine pour certains 400 ou 500 euros de retraite mensuelle!alors que la solution est tellement simple : abolir la télévision publique (ou en diminuer le budget pour en faire une chaine purement informative type LCP ou autre....)
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A
cela dit je te rejoins sur l'idée de "signal" envoyé, meme si moi, je souhaiterais que l'etat envoie justement des signaux d'ouverture et de tolérance... le debat se situe justement sur ce point : on est tous deux d'accord pour dire que l'etat doit plus etre un guide qu'un parent....,la divergeance sera toujours sur "quel signal, quelle voie" dit il nous montrer ?
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P
Exactement. Et pour ma part, il s'agit clairement d'une société fondée sur les valeurs proches de la doctrine sociale de l'Eglise.
A
quel rapport entre mariage homo et accroissement de la fécondité ????le mariage gay n'augmentera pas le "taux" d"homosexuels dans ce pays....J'irai meme jusqu'a dire que le proportion d'homosexuels dans le monde est a peu près la même depuis des siècles, la seule différence, c'est qu'aujourd'hui, ils l'avouent en public....logique...ils ne risquent plus de se faire pendre...du moins dans nos pays..les problèmes de fécondité sont sociaux polydamas...je suis bien placee pour le savoir en tant que femme...qu'on ne nous dise pas le contraire, l'émancipation de la femme, et notamment l'allongement des études et le developpement des carrières....voila ce qui fait baisser la fécondité...personnellement je sais pertinemment que si j'ai un enfant maintenant, ma personne ne sera plus ma priorité...(et ça me fait chier......et je ne pense pas être la seule ! :)je ne pense pas egalement avoir tort si je dis que pour beaucoup d'hommes c'est la meme chose....Les hommes d'aujourd'hui (la plupart) tiennent à pouvoir élever leurs enfants..et savent donc qu'ils ne peuvent pas que s'occuper de leurs carrières...la société a changé..personnellement, je trouve que la baisse de la démographie est une bonne chose pour cette planète...(d'un point de vue biologique...je sais, c'est odieux .... :)après, il est clair que pour faire face au pbl de renouvellement des générations, il faut revoir le systeme....enfin tout ca pour dire que les homos n'ont rien à voir là dedans...l'etat doit s'occuper de sécurité (armée, santé, etc.)et être l'arbitre (pas le décideur) du modèle économique....c'est toutles hommes en tant que communauté sont, je pense, tout à fait capable de prendre le reste en main et de faire les bons choix...
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P
Le terme de "fécondité" n'est pas approprié, c'est juste qu'il me parait logique que l'état promeuve la forme de vie la plus stable, et la plus à même de constituer les fondations d'une société. Donc la famille, parce que pour le moment, on n'a pas trouvé mieux, comme forme de vie communautaire optimale. Ce qui sous-entend des incitations fiscales, etc.Cela ne veut pas dire qu'il faille pourchasser tous les homos en couple, cela veut dire que l'état met sur un piédestal cette union qu'est la famille.Tu n'as pas tort pour la baisse de la démographie. Reste à savoir qui va en faire les frais, avec les déplacements de population en masse.... :-)
G
Merci Polydamas de me faire découvrir cet auteur que je ne connaissais pas et qui me semble très intéressant.
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A
"Quand les droits de certains êtres ne sont pas respectés"admettons pour l'avortement...ok, ça engage une autre "vie"...mais lorsque la seule vie en jeu est la sienne, n'est-ce pas aussi ça la liberté ? de pouvoir être libre de choisir de porter atteinte à la sienne ou pas? (je dis ca pour l'euthanasie, le cannabis, etc....)quant a l'institution du mariage....tout depend quel sens on donne a cette institution....toi tu lui donnes un sens en fonction de tes convictions religieuses.....je concois tout à fait que le mariage gay religieux soit proscrit (c'est votre liberté comme qui dirait), mais le mariage civil, représenté par un etat laique, n'a pas a donner de definition du couple...
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P
Sur l'euthanasie, c'est clairement à cause du signal envoyé. Rien n'interdit aujourd'hui à quiconque de se foutre en l'air si elle le désire. Par contre, ce n'est clairement pas encourageant pour une personne malade de savoir que si elle le souhaite, elle n'a pas à subir sa maladie, cf mon dernier billet. Elle sera clairement incitée à en finir.Et ça l'effet signal me parait important, que ce soit pour le mariage homo, les drogues, l'adoption, etc. Il y a une différence très claire entre laisser faire et légitimer. Légitimer le mariage homo ne me parait pas aller dans le sens d'un état qui viserait le bien public, à savoir un accroissement de la fécondité, etc. Pareil pour l'adoption, quoique sur ce sujet, j'aurais moins tendance à laisser faire.Car même si j'appelle à moins d'état, je sais bien qu'il est impossible à remplacer et qu'il joue un rôle de prescription des plus importants.