De la gestion de patrimoine

Publié le 14 Février 2009

Pour une fois, je vais changer de monomanie, on va discuter finance. Econoclaste me fait l'honneur de me citer dans son article sur la gestion de patrimoine que je vous invite à parcourir. Pour résumer en quelques mots son argumentation, il se demande comment il est possible que la finance ne soit pas capable de garantir la sécurité des investissements, des avoirs du client, de se préserver de toute affaire Madoff. C'est intéressant qu'il se pose la question, parce que c'est désormais toute la problématique de mon (nouveau) métier, qui consiste à sélectionner les meilleurs OPCVM pour le compte d'une institution.

Contrairement à ce que l'on pourrait croire, il est possible d'avoir une information claire sur les fonds. En effet, la réglementation française oblige les fonds d'investissement à publier un "prospectus", une sorte de fiche d'explication ou de mode d'emploi du fonds. Celle-ci donne les principales performances du fonds par rapport à son indice de référence, ses attributions et sa nature, ou même les outils que se permet d'utiliser le gérant. Or, si mes souvenirs sont exacts, ces prospectus ont valeur contractuelle ce qui veut dire qu'il est possible d'attaquer une société de gestion devant la justice, et de se faire rembourser s'il est prouvé qu'elle ne respecte pas les consignes publiées dans la notice.

Ces prospectus sont librement disponibles, généralement sur Internet, avant la souscription, à toute personne souhaitant les consulter. Le langage employé n'est globalement pas plus compliqué que les pages saumon du Figaro. Un investisseur qui montrerait qu'un gérant est sorti de ses attributions, en investissant par exemple dans des fonds crapuleux, se verrait normalement remboursé.

D'autant qu'aujourd'hui, un client, s'il a suffisamment de patrimoine investi, peut demander l'inventaire complet des positions du fonds qu'il a acheté. Seul souci, ce n'est pas parce qu'à cette date, le portefeuille ne compte pas d'investissements risqués, qu'il n'en a pas compté ou qu'il n'en comptera pas. L'asymétrie d'informations qu'évoque Econoclaste existe toujours, un investisseur, même professionnel, ne saura jamais ce qu'il y a dans la tête du gérant. C'est pour cela qu'il est important de rencontrer la société de gestion, afin de se faire une idée sur la question.

Ailleurs dans le billet, Econoclaste évoque les investissements de défiscalisation. On le voit avec Madoff, on pourrait faire le même constat avec les institutions financières situées dans les paradis fiscaux qui disposent d'une rente naturelle ne les incitant guère à fournir un service vraiment utile à leur client, autre que de la simple gestion basique. Pour l'évadé fiscal amateur, ce n'est pas une bonne idée de confier ses fonds à un gérant dans un paradis, ce dernier n'est pas incité à produire de la performance, et de la qualité de gestion (faible volatilité des cours, transparence vis à vis du client, suivi des performances), c'est tout le problème de ce qu'on constate aujourd'hui au Luxembourg avec l'affaire Madoff.

Sentiment qui est confirmé par les différents témoignages que j'ai pu entendre, les institutions financières placées dans les paradis fiscaux ne sont clairement pas réputées pour leur efficacité. Même UBS, leader suisse de la gestion de patrimoine, n'affiche pas des performances extraordinaires. Pour rappel, UBS vient de publier, il y a quelques jours, une perte de 13 milliards d'euros. Et encore, je ne parle pas d'autres paradis, où la corruption des gérants est généralisée et fait partie de la culture maison. Non, si vous souhaitez vraiment faire de l'évasion fiscale, il vaut mieux ouvrir un compte titres à l'étranger et le gérer seul par Internet.

Econoclaste affirme ensuite:

Dans son récent livre consacré aux finances personnelles, John Kay décrit bien l'expérience typique de l'épargnant qui va voir son conseiller de clientèle à la banque; le plus souvent, le conseiller n'en sait pas plus que lui, ne cherche pas tellement à connaître les besoins de son client,

Là je me permettrai d'être en désaccord avec Econoclaste. Car c'est justement là qu'interviennent les petites boutiques de gestion. Dans celle-ci, les gérants et les "ingénieurs patrimoniaux" sont beaucoup plus à même de saisir et de comprendre, la finalité, les besoins, les ressources de chaque client, et de construire une stratégie adaptée en vue de ces objectifs. Bien évidemment, un particulier se verra proposer, dans une société de gestion, les fonds de la maison. Mais rien ne l'empêche, s'il n'en est pas satisfait, d'ordonner la souscription dans d'autres fonds, qui lui paraissent plus performants. Le coût ne sera pas le même qu'une grande institution, mais il y a beaucoup de chances pour que le service soit plus personnalisé, et plus adapté à la situation du particulier.

En outre, comme je le rappelais dans mon commentaire qu'il cite, les sociétés de gestion peuvent développer des compétences sur tel créneau qui vont aiguiller le particulier vers tel investissement plutôt qu'un autre. Ces marchés où l'information est peu disponible, représentent des opportunités pour les particuliers uniquement s'ils y sont correctement guidés.

Cela dit, sur les "fonds classiques", il est vrai que peu de gérants parviennent à battre leurs indices de manière régulière. Sauf à ce qu'il ait une compétence particulière, prouvée par un historique impressionnant, l'ensemble des contraintes pesant sur les OPCVM sont telles (je vous rappelle que nous sommes en France, pays surreglementé) la plupart des gérants affichent des performances en ligne avec leur indice. Donc si on ajoute les frais de gestion, au final, il vaut mieux que les particuliers investissent dans des trackers ou ETF, la performance correspondra à l'indice, et les frais seront minimes. Par contre, il faut noter la très grande qualité de certains noms, qui parviennent régulièrement depuis des années, à avoir une meilleure qualité de gestion que leurs collègues. C'est peut être le fruit du hasard, mais sur des périodes aussi longues, ça peut être suffisant pour justifier un début d'étude sur ces fonds.

Lorsque j'achète un paquet de céréales au supermarché, il n'y a pas de différence entre ce que décrit l'emballage et le contenu de la boîte, et je ne dois pas lire de petites lignes m'indiquant que le fait d'avoir toujours eu des pétales de mais glacés au sucre dans ces boîtes ne me garantit en aucun cas d'en avoir cette fois-ci.

J'ai l'impression, et c'est ça qui fait tout le charme de la finance, que celle-ci n'a rien à voir avec de la technique, mais plutôt de l'art. Personne ne sait ce qui est dans la tête du gérant, du décideur. Personne ne connait les évolutions à moyen terme des marchés financiers. Comme le note un commentateur du billet très justement, un investissement est un pari sur l'avenir, l'achat d'une voiture ou d'un paquet de céréales est un pari sur le passé. D'où la glorieuse incertitude de l'investissement qui explique pourquoi des épargnants ont pu confier toutes leurs économies à Madoff uniquement du fait de son bon relationnel.


Rédigé par Polydamas

Publié dans #Finance

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Y
Cher Poly, merci pour cet article intéressant, qui tombe au bon moment pour moi. En revanche, je suis assez d'accord avec Gwynfrid: ces petites sociétés de gestion, sans être inconnues, semblent inaccessibles au commun des mortels. Je suis surpris quand vous dites que vous pouvez vous pointer dans ces boutiques avec 10.000 EUR et que vous avez droit à un conseil personalisé, à une stratégie de gestion, etc. Bon, je testerai... quand j'aurai ces 10.000 EUR Ceci dit, Econoclaste pointe qu'il est extrêmement difficile de reconnaître les bons des mauvais, et c'est vrai, pour des gens qui ne passent pas leur temps à lire les pages saumon du Figaro. Mais c'est également la conséquence de la règlementation. En revanche, je reviens sur l'histoire des céréales car il y justement a une énorme différence: quand on investit, c'est justement parce qu'on veut en avoir à la fin plus que pour son argent de départ.
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G
Merci pour les éclaircissements. Je prends bonne note, pour le jour où je rentrerai en France.Pour ce qui est de l'aspect artistique de la chose, je reste dubitatif, mais je me garde de conclure. Après tout, beauty is in the eye of the beholder.
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L
Le métier des placements financiers serait "plutôt de l'art". Cohérent, vous affirmez en corollaire qu'il s'en dégage un "charme" que ne pourrait produire la seule "technique". Cela paraît non seulement intéressant (vous l'argumentez bien) mais aussi - selon ma faible culture en la matière - une proposition originale. En connaît-on un énoncé précédent ? Keynes n'était pas allé si loin, en disant à la fin de sa vie qu'il regrettait de ne s'être pas plutôt consacré à la psychologie, "science humaine" bien éloignée des ressorts mathématiques que les théories économiques se plaisent à manipuler. Comme souvent, les grands écrivains l'on pressenti. Un Nucigen, un Haverkamp (Jules Romains, Les hommes de bonne volonté) sont, on le sent bien, animés par un supplément d'âme qui dépasse leur simple boulimie affairiste.
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P
<br /> C'est justement parce que l'on manie de l'humain, qu'il s'agit d'art. C'est toujours imprévisible et foutrement compliqué, il n'y apas de recettes toute faites. Et c'est justement ce que j'aime<br /> dans la finance, le côté "psychologie des foules", impossible à faire rentrer dans un cadre. Je ne suis pas passionné par l'aspect financier, mais pas l'aspect "foule" qui est tout à fait<br /> fascinant.<br /> <br /> <br />
C
Tu vas rire cher ami... je me dis "chouette, il va parler du patrimoine, le Mont-Saint-Michel, le louvre, les archives nationales et Versailles..." Et puis non finalement j'ai rien compris, comme d'habitude quand on parle de finances. Non que ton article ne soit pas clair, mais je crois que mon cerveau n'est pas fait pour ça, note bien.
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P
<br /> Lol, ma chère, je ferais un truc sur la gestion du patrimoine français, dès que j'y connaitrai quelque chose... :)<br /> <br /> D'autant que j'aurais parlé de la gestion "du" patrimoine, et non de la gestion de patrimoine.<br /> <br /> <br />
A
Avoir un compte bancaire, un livret A, une assurance, c'est "la base"; on commence à parler de stratégie individuelle de placement pour le reste, après cela; c'est cette partie qui pose problème et sur laquelle le marché me semble assez peu efficace.Pour ce qui est de l'achat d'un logement, il comprend deux parties : une partie "bien de consommation" qui correspond au fait qu'il faut bien être logé quelque part, que l'on va ensuite dépenser pour sa maison, ne fût-ce que pour compenser son usure; sur cette partie les problèmes sont de nature différente, les gens savent en général ce dont ils ont besoin.L'autre partie d'un achat immobilier, c'est la partie investissement-placement, pour laquelle les revenus futurs correspondent à l'éventuel accroissement de valeur du bien. Et sur cette partie, je crois qu'on retrouve le même genre de soucis que pour tous les placements : l'immobilier constitue une trop forte partie des patrimoines individuels, exposant les gens à des risques importants; on rencontre des légendes et des croyances (l'immobilier, ça ne peut que monter, c'est un placement sûr, etc...) et une qualité de conseil médiocre. Ma boîte aux lettres est encombrée de prospectus d'agents immobiliers avec pour slogan "par ces temps difficiles, l'immobilier reste le meilleur placement", on berce les gens d'illusions sur les plus values qu'ils feront; au total je doute que la situation soit très différente.
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P
<br /> Oui, je suis bien d'accord avec vous, c'est le problème de tous les placements quelque soit leur nature, la finance ne me semble pas plus condamnable que le secteur immobilier. Enfin, ne croyez<br /> vous pas, ainsi que le rappelait l'un de vos commentateurs, que c'est parce que les enjeux sont plus importants, et concernent chacun d'entre nous que tous les problèmes sont montés en sauce<br /> beaucoup plus rapidement ?<br /> <br /> <br /> <br />