Caritas in veritate, l'encyclique sociale de Benoit XVI

Publié le 7 Juillet 2009

L'encyclique sociale de Benoit XVI est donc sortie ce 7 Juillet, anniversaire du Motu Proprio. Elle est disponible ici dans son intégralité. Longue et pointue, l'encyclique rappelle la doctrine catholique sur de nombreux points polémiques. Un peu trop peut-être, on peut se demander si la place d'un pape est de s'abaisser à rappeler de telles évidences, de traiter des sujets aussi communs. Mais ne boudons pas notre plaisir, et examinons les points importants de ce texte.

L'introduction est consacrée par Benoit XVI à rappeler l'impératif de l'amour dans une société. Impératif qui réconcilie dans un même mouvement, vérité et charité. Ce qui nous donne quelques phrases bien ajustées:

"Dépourvu de vérité, l’amour bascule dans le sentimentalisme. L’amour devient une coque vide susceptible d’être arbitrairement remplie. C’est le risque mortifère qu’affronte l’amour dans une culture sans vérité. Il est la proie des émotions et de l’opinion contingente des êtres humains ; il devient un terme galvaudé et déformé, jusqu’à signifier son contraire. La vérité libère l’amour des étroitesses de l’émotivité qui le prive de contenus relationnels et sociaux, et d’un fidéisme qui le prive d’un souffle humain et universel. Dans la vérité, l’amour reflète en même temps la dimension personnelle et publique de la foi au Dieu biblique qui est à la fois « Agapè » et « Lógos »: Charité et Vérité, Amour et Parole." (§ 3) (...)
"Un Christianisme de charité sans vérité peut facilement être confondu avec un réservoir de bons sentiments, utiles pour la coexistence sociale, mais n’ayant qu’une incidence marginale. Compris ainsi, Dieu n’aurait plus une place propre et authentique dans le monde. Sans la vérité, la charité est reléguée dans un espace restreint et relationnellement appauvri. Dans le dialogue entre les connaissances et leur mise en œuvre, elle est exclue des projets et des processus de construction d’un développement humain d’envergure universelle." (§ 4)

Utile rappel pour certains qui oublient régulièrement, dès qu'on parle du catholicisme, à rappeler les sujets qui fâchent. La doctrine catholique est discriminante, tout le monde n'ira pas au paradis.

Ensuite, le pape fait ensuite le lien entre la justice, la charité et le bien commun,  qu'il s'attache à redéfinir. Loin d'être une somme d'intérêts particuliers et égoïstes à l'instar de l'intérêt général démocratique, le bien commun est le bien de la communauté. Et c'est une exigence de la justice et de la charité que de le rechercher.

Après cette introduction, le pape rappelle l'encyclique de Paul VI sur le même sujet. Il souligne  l'importance de la responsabilité et de la liberté dans le développement spirituel et matériel.

Le développement humain intégral suppose la liberté responsable de la personne et des peuples: aucune structure ne peut garantir ce développement en dehors et au-dessus de la responsabilité humaine. Les « messianismes prometteurs, mais bâtisseurs d’illusions » fondent toujours leurs propositions sur la négation de la dimension transcendante du développement, étant certains de l’avoir tout entier à leur disposition. Cette fausse sécurité se change en faiblesse, parce qu’elle entraîne l’asservissement de l’homme, réduit à n’être qu’un moyen en vue du développement, tandis que l’humilité de celui qui accueille une vocation se transforme en autonomie véritable, parce qu’elle libère la personne. Paul VI ne doute pas que des obstacles et des conditionnements freinent le développement, mais il reste certain que « chacun demeure, quelles que soient les influences qui s’exercent sur lui, l’artisan principal de sa réussite ou de son échec ».

Et plus loin:

 Le développement ne peut être intégralement humain que s'il est libre; seul un régime de liberté responsable lui permet de se développer de façon juste.

Dans le second chapitre, le pape n'hésite pas à tacler vigoureusement tous les responsables du sous-développement, qu'ils soient ici ou là-bas:

La corruption et le non respect des lois existent malheureusement aussi bien dans le comportement des acteurs économiques et politiques des pays riches, anciens et nouveaux, que dans les pays pauvres. Ceux qui ne respectent pas les droits humains des travailleurs dans les différents pays sont aussi bien de grandes entreprises multinationale que des groupes de production locale. Les aides internationales ont souvent été détournées de leur destination, en raison d’irresponsabilités qui se situent aussi bien dans la chaîne des donateurs que des bénéficiaires. Nous pouvons aussi identifier le même enchainement de responsabilités dans les causes immatérielles et culturelles du développement et du sous-développement. Il existe des formes excessives de protection des connaissances de la part des pays riches à travers l’utilisation trop stricte du droit à la propriété intellectuelle, particulièrement dans le domaine de la santé. En même temps, dans certains pays pauvres, subsistent des modèles culturels et des normes sociales de comportement qui ralentissent le processus de développement.

Il rappelle la nécesssité que le développement soit intégral, et orienté sur toutes les facettes de l'homme. Sortir de la pauvreté, et accèder à un meilleur niveau de vie ne suffit pas. La dimension morale ne peut pas être omise, ce qui lui donne l'occasion de faire une mise au point sur le relativisme :

Aujourd’hui, les occasions d’interaction entre les cultures ont singulièrement augmenté ouvrant de nouvelles perspectives au dialogue interculturel; un dialogue qui, pour être réel, doit avoir pour point de départ la conscience profonde de l’identité spécifique des différents interlocuteurs. On ne doit toutefois pas négliger le fait que la marchandisation accrue des échanges culturels favorise aujourd’hui un double danger. On note, en premier lieu, un éclectisme culturel assumé souvent de façon non-critique: les cultures sont simplement mises côte à côte et considérées comme substantiellement équivalentes et interchangeables entre elles. Cela favorise un glissement vers un relativisme qui n’encourage pas le vrai dialogue interculturel; sur le plan social, le relativisme culturel conduit effectivement les groupes culturels à se rapprocher et à coexister, mais sans dialogue authentique et, donc, sans véritable intégration. En second lieu, il existe un danger constitué par le nivellement culturel et par l’uniformisation des comportements et des styles de vie.
De cette manière, la signification profonde de la culture des différentes nations, des traditions des divers peuples, à l’intérieur desquelles la personne affronte les questions fondamentales de l’existence en vient à disparaître. Eclectisme et nivellement culturel ont en commun de séparer la culture de la nature humaine.

Abordant l'économie, le pape classe le marché dans la justice commutative. Et il continue, par quelques passages qui seront certainement problèmatiques pour certains catholiques sociaux. Le pape profite de ce texte pour réhabiliter l'investissement, le risque et la responsabilité que ce métier comporte.

Il ne s’agit pas seulement de corriger des dysfonctionnements par l’assistance. Les pauvres ne sont pas à considérer comme un « fardeau », mais au contraire comme une ressource, même du point de vue strictement économique. Il faut considérer comme erronée la conception de certains qui pensent que l’économie de marché a structurellement besoin d’un quota de pauvreté et de sous-développement pour pouvoir fonctionner au mieux. L’intérêt du marché est de promouvoir l’émancipation, mais pour le faire vraiment il ne peut pas compter seulement sur luimême, car il n’est pas en mesure de produire de lui-même ce qui est au-delà de ses possibilités. Il doit puiser des énergies morales auprès d’autres sujets, qui sont capables de les faire naître.
(...)
La société ne doit pas se protéger du marché, comme si le développement de ce dernier comportait ipso facto l’extinction des relations authentiquement humaines. Il est certainement vrai que le marché peut être orienté de façon négative, non parce que c’est là sa nature, mais parce qu’une certaine idéologie peut l’orienter en ce sens. Il ne faut pas oublier que le marché n’existe pas à l’état pur. Il tire sa forme des configurations culturelles qui le caractérisentn et l’orientent. En effet, l’économie et la finance, en tant qu’instruments, peuvent être mal utilisées quand celui qui les gère n’a comme point de référence que des intérêts égoïstes. Ainsi peut-on arriver à transformer des instruments bons en eux mêmes en instruments nuisibles. Mais c’est la raison obscurcie de l’homme qui produit ces conséquences, non l’instrument luimême. C’est pourquoi, ce n’est pas l’instrument qui doit être mis en cause mais l’homme, sa conscience morale et sa responsabilité personnelle et sociale.

J'ai beau lire, mais il n'y a là nulle remise en cause de la finance, nulle remise en cause du prêt à intérêt, nulle remise en cause du capitalisme, juste un appel à davantage de responsabilisation et de sens moral. Par contre, dans la droite ligne de la doctrine sociale de l'Eglise, le pape rappelle l'importance des corps intermédiaires.

Mon prédécesseur Jean-Paul II avait signalé cette problématique quand, dans Centesimus annus, il avait relevé la nécessité d’un système impliquant trois sujets: le marché, l’État et la société civile  Il avait identifié la société civile comme le cadre le plus approprié pour une économie de la gratuité et de la fraternité, mais il ne voulait pas l’exclure des deux autres domaines. Aujourd’hui, nous pouvons dire que la vie économique doit être comprise comme une réalité à plusieurs dimensions: en chacune d’elles, à divers degrés et selon des modalités spécifiques, l’aspect de la réciprocité fraternelle doit être présent. À l’époque de la mondialisation, l’activité économique ne peut faire abstraction de la gratuité, qui répand et alimente la solidarité et la responsabilité pour la justice et pour le bien commun auprès de ses différents sujets et acteurs. Il s’agit, en réalité, d’une forme concrète et profonde de démocratie économique.

Les libéraux ne disent rien d'autre.

Je vous fais grâce des passages sur la culture de mort, sur la laïcité, sur la bioéthique, sur l'euthanasie, sur la partialité des médias, sur la contradiction entre le souci écologique, et l'égoïsme sur le plan personnel, sur la technique, il n'y a rien de nouveau dans ces paragraphes, que j'évoque régulièrement.

Non, par contre, la véritable nouveauté, et qui pose problème, est le voeu de la création d'une autorité mondiale. Cet appel s'inscrit dans la logique de l'interdépendance sans cesse approfondie qu'est la mondialisation. Au lieu de la remettre en cause, comme pourraient le croire certains catholiques, Benoit XVI décide d'en prendre acte, et d'utiliser les moyens disponibles pour pouvoir mieux la réguler. Une autorité qui serait dotée des mêmes compétences que les Etats et qui aurait un pouvoir de sanction. En gros, le projet de l'Union Européenne à l'échelle de la planète.

Pour le gouvernement de l’économie mondiale, pour assainir les économies frappées par la crise, pour prévenir son aggravation et de plus grands déséquilibres, pour procéder à un souhaitable désarmement intégral, pour arriver à la sécurité alimentaire et à la paix, pour assurer la protection de l’environnement et pour réguler les flux migratoires, il est urgent que soit mise en place une véritable Autorité politique mondiale telle qu’elle a déjà été esquissée par mon Prédécesseur, le bienheureux Jean XXIII. Une telle Autorité devra être réglée par le droit, se conformer de manière cohérente aux principes de subsidiarité et de solidarité, être ordonnée à la réalisation du bien commun, s’engager pour la promotion d’un authentique développement humain intégral qui s’inspire des valeurs de l’amour et de la vérité. Cette Autorité devra en outre être reconnue par tous, jouir d’un pouvoir effectif pour assurer à chacun la sécurité, le respect de la justice et des droits. Elle devra évidemment posséder la faculté de faire respecter ses décisions par les différentes parties, ainsi que les mesures coordonnées adoptées par les divers forums internationaux.
En l’absence de ces conditions, le droit international, malgré les grands progrès accomplis dans divers domaines, risquerait en fait d’être conditionné par les équilibres de pouvoir entre les plus puissants.

Inutile de dire que cela va faire jaser, car si c'est un projet très noble, sur le papier, on peut se demander comment est-il possible de l'appliquer concrètement, surtout avec les niveaux de subsidiarité nécessaires. Enfin comment faire pour que cette instance ne soit pas elle-même corrompue et serve réellement le bien commun mondial ?


Rédigé par Polydamas

Publié dans #Religion

Repost0
Commenter cet article
F
BRAVO POUR CES DOCUMENTS TRES EXPLICITES DES PHOTOS QUI VALENT MIEUX QUE TROP D'EXPLICATIONSJE M'EMPRESSE DE FAIRE CIRCULER VOTRE TRAVAILAMICALEMENT
Répondre
L
"Une autre religion" ? Certes, oui, et aussi une religion séculière très en vogue depuis 1945, et plus encore depuis les années 1990, dont l'esprit souffle fortement sur l'Atlantique nord. Un Attali, un Kouchner, sont de ses apôtres.
Répondre
L
Qu'on ne se méprenne pas, mon propos n'avait rien de péjoratif envers quiconque ; "jeter un pavé dans la mare", ce n'est pas enfoncer une porte ouverte.Il me semblait semblait simplement qu'en soulignant cet aspect de l'encyclique, vous en signaliez à juste titre l'enseignement le plus sujet à polémique parmi les frères et soeurs de l'Eglise. Il me semblait donc utile d'enchérir sur votre précédent commentateur signalant qu'il y avait des précédents à ce sujet. J'ai voulu faire court, mais il est évident que l'unité du monde n'est pas étrangère au christianisme et, après tout, celui-ci fournit déjà au monde une autorité universelle : le trône et la chaire de Pierre. Bon, une fois cela dit, il reste à entretenir le délicat héritage du dialogue traditionnel des trônes avec le siège romain. Evidemment, quand Boniface VIII prétendait pouvoir déposer un roi "sicut unum garcionem" ("comme un valet" !), c'est Philippe le Bel qui avait raison. On n'a plus de telles prétentions à Rome ? Certes, mais elles peuvent exister ailleurs. A bon entendeur, salut. 
Répondre
P
<br /> Tout à fait, vous ne penseriez pas à une autre religion, par hasard ? :)<br /> <br /> <br />
L
<br /> Polydamas (ou Benoît XVI, on ne sait plus), vous avez l’art de jeter des pavés dans la mare. L’unité politique universelle, c’est en effet une vieille balançoire qui, pour ne pas remonter à la plus haute antiquité, est au moins un vénérable voeu pieux chrétien. «L’univers entier vit en paix sous sa puissance [celle d’Auguste] et Jésus-Christ vient au monde», s’exclamait Bossuet. La jeune chrétienté a couché avec l’Empire romain, et toujours en gardera au coeur un doux souvenir («En ce temps là parut un édit de César Auguste, etc...»). Les impérieux évêques entourant Louis le Pieux s’y croyaient déjà revenus : «Il n’y a plus ni barbare, ni scythe, ni juif, ni gentil», enfilait tel prélat carolingien (Agobart de Lyon) à la suite du rabbi Schaoul de Tarse, et celui-là prolongeait, à la mode du temps «... ni Burgonde, ni Alaman». Faut-il évoquer Grégoire VII, ou Innocent III (suzerain de plusieurs rois) ? Après qu’avec la Renaissance les nations se furent décidément cristallisées sur la carte d’Europe, un Sully, un Leibniz (sur le thème un peu désuet de la croisade), prêchaient encore l’unité d’un concert des nations, alors assimilé à la vieille Europe héritière de la pax romana. Ce sont aussi les clercs espagnols du XVIe siècle (Vitoria, Suarez, Roa Davila), immergés dans l’empire le plus universel d’alors, qui les premiers réfléchissent à un «droit des gens» (comprendre : des «peuples»). Les paix de Westphalie (1648), d’Utrecht surtout (1713) sont (en partie) voulues ou ressenties, comme les bases d’un ordre universel (i.e. européen) durable. Mais c’est au congrès de Vienne (1814-1815) qu’est explicitée pour la première fois l’idée d’une association permanente des couronnes, ordonnée au «repos des peuples». C’est la fameuse Sainte-Alliance inspirée au tsar Alexandre par la fumeuse baronne Krüdener, et avalisée par les puissances - avec bien des arrières pensées - «au nom des la Très Sainte et Indivisible Trinité». Certains se plaisaient, vers 1920, à y voir les prémices de la SDN. La suite est connue et c’est, comme on le voit, une certaine suite dans les idées.<br />
Répondre
P
<br /> Oui, je vois ça, mais que voulez-vous, on a toujours besoin de se rafraichir la mémoire...<br /> <br /> Et puis, mes connaissances ne sont pas parfaites sur l'histoire de l'Eglise, loin de là.<br /> <br /> <br />
M
En fait, il ne s'agit pas d'une nouveauté.
Répondre
P
<br /> Oui, dans son texte, le pape rappelle bien que l'autorité mondiale était souhaitée par Jean-Paul II. Cela dit, j'ai du mal à me positionner sur la question.<br /> <br /> <br />