L'affaire brésilienne

Publié le 10 Mars 2009

L'histoire de cette petite fille de 9 ans qui a subi un avortement des jumeaux qu'elle attendait, après avoir été violée par son beau-père, fait les gros titres. Surtout parce que la mère, qui a obligé sa fille à avorter a été excommuniée par l'Eglise, ainsi que l'équipe médicale ayant pratiqué l'avortement. Rien de bien neuf là-dedans, l'évêque brésilien de Recife s'étant contenté de rappeler la règle, certes de manière peut-être un peu maladroite, alors que le gouvernement brésilien tente de le légaliser. Rappelons également qu'il s'agit ici d'une sanction morale, personne n'a eu à subir de coercition ou de répression à cause de l'Eglise.

Evidemment, encore une fois, les amalgames vont bon train. Pour la faire courte, une petite fille violée est excommuniée, et de l'autre, on enlève l'excommunication d'un négationniste. Je comprends que ça choque. Sauf que la réalité, comme toujours avec l'Eglise, est plus complexe. D'abord, il faut retenir que la petite fille n'est pas excommuniée. Car que nous dit le droit Canon au sujet de l'IVG ?

La chose suivante:

Can. 1397 - Qui commet un homicide, ou enlève quelqu'un avec violence ou par ruse, le retient, le mutile, ou le blesse gravement, sera puni, selon la gravité du délit, des privations et interdictions prévues au can. 1336; quant au meurtre des personnes dont il s'agit au can. 1370, il sera puni des peines établies par ce même canon.
Can. 1398 - Qui procure un avortement, si l'effet s'en suit, encourt l'excommunication latae sententiae

OK, à vue de nez, on pourrait croire que la petite fille est excommuniée également. C'est méconnaitre les règles catholiques, car pour encourir une excommunication latae sententiae, il faut des conditions qui sont décrites ici:

 

Can. 1323 - N'est punissable d'aucune peine la personne qui, lorsqu'elle a violé une loi ou un précepte:

1 n'avait pas encore seize ans accomplis;
2 ignorait, sans faute de sa part, qu'elle violait une loi ou un précepte;quant à l'inadvertance et l'erreur, elles sont équiparées à l'ignorance;

3 a agi sous la contrainte d'une violence physique ou à la suite d'une circonstance fortuite qu'elle n'a pas pu prévoir, ou bien, si elle l'a prévue, à laquelle elle n'a pas pu s'opposer;

4 a agi forcée par une crainte grave, même si elle ne l'était que relativement, ou bien poussée par la nécessité, ou pour éviter un grave inconvénient, à moins cependant que l'acte ne soit intrinsèquement mauvais ou qu'il ne porte préjudice aux âmes;

(...)


Il est évident que la petite fille n'a eu aucunement le choix, et qu'elle n'a pas la maturité pour prendre une telle décision. Elle n'est aucunement responsable de cet avortement, et n'est donc pas excommuniée. Soyons clairs, les raccourcis journalistiques n'ont aucun sens.

Par contre, effectivement, la mère de la petite, qui l'a poussée à avorter, elle, est bien excommuniée. C'est d'ailleurs ce qui parait nouveau dans cette affaire, toute personne catholique (évidemment, l'excommunication ne touche que des gens qui se revendiquent comme catholiques) faisant pression pour des IVG sur qui que ce soit, encoure l'excommunication automatique. Pareil pour l'équipe médicale, mais si ce n'est pas la première fois, ce n'est aucunement une nouvelle pour eux. Si la gravité de la peine est plus importante que pour un violeur, c'est parce que, concernant les avortements, il y a une vie qui disparait, dans un cas, et que dans le cas du viol, la vie de la victime est certainement détruite, mais ne disparait pas pour autant. C'est toute la différence.

Cela dit, cela n'absout pas pour autant le violeur. Faut-il rappeler les simples propos du Christ, qui me semblent parfaitement clairs:

Mt 18:6 Mais si quelqu’un doit scandaliser l’un de ces petits qui croient en moi, il serait préférable pour lui de se voir suspendre autour du cou une de ces meules que tournent les ânes et d’être englouti en pleine mer.

Et pourtant, on sait que le Christ a rarement tenu des propos vindicatifs durant son évangélisation. Rappelons que le viol, s'il n'encoure effectivement pas la peine de l'excommunication, est tout de même une faute importante qui nécessite un repentir fervent, et une pénitence proportionnée, donnée par un prêtre, pour être lavée. Et ce n'est qu'après cette procédure qu'un ancien violeur pourra accéder à la table de communion, les choses sont tout de même un peu plus compliquées que "excommunication = pas de communion ; pas d'excommunication = communion".

PS: Comme je l'avais supposé ailleurs, il semble que le canon 1324 puisse s'appliquer en ce cas-là, canon qui exonère de la peine d'excommunication, sous certaines conditions.

Rédigé par Polydamas

Publié dans #Pro-vie

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M
Bon pendant que les canonistes débattent, les enfants continuent à avoir un gros ventre quelque par là-bas dans le Tiers Monde...ils sont bien avancés les canonistes à mon avis....Mais je dois avoir mauvais esprit, ça doit être ça...Tous les canonistes de l'univers pendant deux mille ans ne valent pas un seul Jean-Marie Vianney ou un seul Padre Pio...
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P
<br /> Ça méritait d'être précisé.<br /> <br /> <br />
C
Je venais précisément dire tout le bien que je pense de ton lien, Poly, que j’ai suivi de chez Koz vers ce billet de T.Derville. A mon sens, si l’analyse des actions et des propos de l’évêque de Récife n’est pas aussi développée qu’elle pourrait l’être, il s’agit effectivement d’une mise au point remarquable.Dang, tu te posais la question sur la possibilité d’expertise des hommes sur ces questions si éminemment féminines. Tu as ta réponse : oui. Quand les hommes ouvrent vraiment leurs yeux et autorisent réellement leur cerveau à travailler librement pour réfléchir à ce que leurs yeux ont vu, oui, ils sont très largement aptes à comprendre.
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L
A Camille :Vous êtes décidément bien sévère. Marie-Louise, (presque) vierge au mariage, partagea surtout le sort matrimonial des princesses, dont on sait depuis Racine qu'il n'est pas réglé par l'amour ("La gloire d'obéir est tout ce qu'on nous laisse", Andromaque).Epouse attentive et discrète, elle avait du "tempérament", comme dit le style littéraire bourgeois du XIXe. Bref, c'était l'idéal de n'importe quel officier d'artillerie. Les cruautés de la politique lui ont arraché le mari que cette même politique lui avait enjoint d'accepter. Elle s'est ensuite consolée plutôt bourgeoisement."Pouffe" me paraît exagéré (déplacé ?) pour une personne après tout d'excellente famille (en tout cas meilleure que la mienne, comme aurait dit Salvator Dali) et aux moeurs très convenables. A tous :Une mise au point qui me paraît l'emporter en science, en finesse et en ampleur sur tous les commentaires ici publiés à propos de cette malheureuse affaire sud-américaine :http://www.libertepolitique.com/respect-de-la-vie/5182-bresil-enjeux-ethiques-du-drame-dune-innocence-violee(cité par l'incontournable cénacle bistre) 
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P
<br /> Il m'a fallu un bon moment pour comprendre que "cénacle bistre", c'était le salon beige... :)<br /> <br /> Mais oui, bonne tribune.<br /> <br /> <br />
E
D'une manière générale, je pense qu'on essaie de sauver tout le monde en même temps et qu'il y a vraiment très peu de cas où sauver l'un tue à coup sûr l'autre. Comme l'a très bien dit un des commentateurs avant moi, pour ce cas de la petite brésilienne, on pouvait essayer de pousser au maximum la grossesse, puis faire une césarienne et mettre les bébés en couveuse en espérant qu'ils s'en sortiraient. On essayait ainsi de donner le maximum de chances à chacun. Tandis que là, ils se sont dits qu'en tuant deux personnes, on assurait la survie d'une personne. Belle efficacité!!! En tout cas je crois aussi que j'avais entendu dire que l'enfant était prioritaire par rapport à la mère. Son innocence et son potentiel de vie me semble justifier cette position, même si elle est très dûre pour le mari et les autres enfants.!!Enfin, heureusement ce genre de cas se produit rarement et je pense franchement que le médecin doit faire de son mieux pour sauver tout le monde donc accorder autant de son temps à tous. Et ensuite c'est le Bon Dieu qui décide...
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P
Parfait, Polydamas, vous me coupez l'herbe sous le pied en écrivant le billet sur lequel je sue depuis ce matin (enfin, en travaillant à côté).J'ajoute juste l'avis d'un canoniste sérieux que je viens de recueillir. D'après lui, non seulement l'évêque aurait pu s'abstenir, mais l'attitude vraiment pastorale — et le canoniste n'est pas du genre à tout permettre au nom de la pastorale… — aurait été de déclarer en substance: «Comme vous le savez, l'avortement est une faute particulièrement grave, car sa première victime est non seulement un innocent, mais un innocent qui est absolument sans défense. C'est pourquoi l'Eglise, dans le souci de rappeler toujours aux chrétiens la gravité de ce crime, a prévu pour ceux qui y coopéraient la peine la plus grave, celle de l'excommunication.«Mais comme vous le savez aussi, et comme vous l'avez vu faire récemment par le Pape, l'Eglise a le pouvoir de lever une excommunication. La jeune fille abominablement meurtrie par des viols à répétition et une grossesse dangereuse est mineure, et ne peut bien entendue être excommuniée. Quant à sa propre mère, qui encoure cette peine si elle a consciemment voulu cet avortement et en sachant qu'elle serait excommuniée, je lève par mon autorité son excommunication, en la confiant de tout cœur à la miséricorde de Dieu, et je prie pour que mon pays, le Brésil, comprenne à l'occasion de ce drame l'urgence d'éduquer au respect de la femme et à celui, sacré, de toute vie humaine.»Bon, j'ai un peu brodé sur l'idée du canoniste (qui n'est pas non plus porté sur le lyrisme), mais l'idée était celle-ci. Je vous passe les détails sur les circonstances atténuantes et le principe canonique de toujours appliquer la mesure la plus favorable au coupable, mais il y a des canons vraiment canons sur le sujet. 
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P
<br /> Bien d'accord avec vous sur ce coup-là, je crois qu'on est typiquement dans le cas où une levée pouvait se justifier dans la foulée.<br /> <br /> <br />