Le droit des femmes plus important que la vie

Publié le 8 Juillet 2010

C'est la position, qui a au moins le mérite de l'honnêteté, que j'ai pu rencontrer régulièrement lors de mes nombreux débats au sujet de l'IVG. Certains militant pro-choix finissent par avouer que l'IVG est bien un meutre, mais que le contrôle de son corps par la femme est plus important, que c'est la seule chose qui justifie que l'on puisse supprimer une vie. Position dont je ne m'attacherai pas à démontrer le cynisme et l'orgueil.

 

Témoin cet excellent article du Times traduit par Jeanne Smits, via le Salon Beige.

 

Je me suis posée des questions. Mais le droit d'une femme de choisir son propre style de vie passe avant tout.
Dans le « Cradle Tower » de la Tour de Londres une exposition interactive demande aux visiteurs de voter pour dire s'ils sont prêts ou non à mourir pour une cause. Mmm, voyons. J'aime les dauphins, mais si on en venait vraiment à un choix, adieu Flipper. Je suis prête à invectiver un juge de ligne uruguayen lorsque mon pays m'appelle, mais je ne suis pas prête à me prendre une coupure avec du papier pour l'Angleterre, sans même parler d'une balle.
Debout dans le lieu où les martyrs religieux ont été retenus et torturés pendant la turbulente réforme britannique, je ne pouvais penser qu'à une cause pour laquelle je serais prête de jouer ma vie : le droit d'une femme d'être éduquée, d'avoir une vie au-delà de son foyer et de se voir reconnaître par la loi et par la coutume d'ordonner sa propre vie comme elle l'entend. Et cela inclut le contrôle complet de sa propre fertilité. Mais quelque chose d'étrange affecte cette croyance qui a constitué pendant tant de temps le cœur de mon être : ma certitude morale à propos de l'avortement vacille, ma position absolutiste est assiégée.
Ce n'est pas un bébé, c'est un fœtus, bande de militants de Dieu, aurait balancé la moi adolescente aux pro-vie. C'est le corps de la femme, et son choix, point, aurais-je proclamé en n'importe quel patois qu'on utilisait à cette époque-là. Le rapport du Collège royal des gynécologues et obstétriciens publié la semaine dernière et affirmant que le fœtus humain ne peut pas ressentir la douleur avant 24 semaines aurait été triomphalement brandi devant quiconque aurait croisé mon chemin, avec une invitation à apprendre ce que signifie la douleur. Car il ne s'agit pas, voyez-vous, d'un débat rationnel, mais d'un débat tribal tout de passion et de vitriol.
Survint un bébé, et tout changea. Je pense à cela comme à l'énigme d'Anna Karenine. Si vous avez lu ce livre-là adolescent, vous aurez soutenu tous ses choix avec la passion de la jeunesse. L'amour avant  les conventions, vas-y Anna ! Après quoi vous avez des enfants et vous vous rendez compte qu'Anna abandonne son fils pour vivre à la colle avec un joli soldat, puis sa fille lorsqu'elle se jette sous le train. Elle devient une sorcière égoïste. Avoir un bébé conduit à repeindre le monde d'une couleur tout à fait nouvelle. Le blanc et le noir ne font plus tout à fait l'affaire.
La question de l'avortement tourne autour de la notion de la vie. La position pro-vie est claire : un bébé, c'est une vie, avec des droits, depuis l'instant de la conception. La position pro-choix insiste au contraire sur le fait que nous ne parlons là que d'une vie potentielle, sans droits. Et l'embryon n'est pas une personne.
Pour le dire crûment, le débat est celui des droits fœtaux contre les droits reproductifs. Mais vous ne verrez jamais une formulation aussi dépassionnée de la part des militant. Les deux parties s'emploient à utiliser un langage qui leur permet de faire avancer leurs positions. Les femmes interrompent leur grossesse ou tuent leurs bébés, tout dépend de qui en parle. Dans la propagande pro-vie, les détails gore sont racontés avec une délectation purulente : au cours d'un avortement par aspiration, le fœtus est « décapité et démembré ».
Si les scientifiques avaient établi qu'un fœtus peut ressentir la douleur dès un très jeune âge, plutôt que l'inverse, les pro-vie s'en seraient saisis, mais en vérité cela n'a que peu d'incidence sur les arguments principaux des deux côtés. Soit un fœtus est une vie depuis la conception, soit il ne l'est pas : la capacité à sentir la douleur n'est pas en elle-même un facteur déterminant.
En fait, il est extraordinairement difficile de parvenir à une définition de la vie. Friedrich Engels a dit : « La vie est l'état d'être des protéines. » Mais aucune définition unique n'emporte l'adhésion des scientifiques ou des philosophes. Certains scientifiques avancent que l'Univers est agencé de telle façon que l'irruption spontanée de la vie est inévitable – Christian de Duve, biologiste nobélisé, a décrit la vie comme un « impératif cosmique ». D'autres soutiennent que l'existence de la vie est tellement peu probable qu'elle constitue un coup de bol miraculeux. Dans les deux cas, il y a quelque chose d'absolument extraordinaire dans la notion que nous sommes tous de la matière recyclée – que nos atomes ont jadis fait partie d'autre chose, d'animé ou d'inanimé, et qu'une sorte de miracle d'assemblage nous a créés, vous et moi.
La vie est-elle définie par la conscience ou par la connaissance de soi ? Est-elle simplement la capacité de respirer ? Prenez donc quelques instants pour essayer de définir ce qu'est être humain et en vie. Ça y est ? Pas facile, n'est-ce pas ?
Ce qui devient de plus en plus clair à mes yeux, c'est qu'en l'absence d'une définition objective, le fœtus est une vie, quelle que soit l'aune subjective que l'on adopte. Ma fille a été formée à la conception, et toute cette alchimie à peine comprise qui a transformé l'heureux accident de la rencontre de ce spermatozoïde-là avec cet ovule-là en ce marmot chéri, cette petite bourrée de personnalité, s'est produite en cet instant-là. Elle est si évidemment elle-même, sa propre personne : forgée en mon sein, et non pas par mon maternage.
Toute autre conclusion est un mensonge commode que nous autres, côté pro-choix, racontons à nous-mêmes pour nous sentir mieux à propos de l'action de prendre une vie. Le petit être en forme d'hippocampe qui flotte dans un utérus accueillant est un miracle de la vie qui grandit. Dans un utérus hostile il ne s'agit plus d'une vie, mais d'un fœtus – qu'on peut donc tuer.
Nous voici donc avec un problème. Un mouvement qui se développe en Amérique, conduit par Sarah Palin, est le féminisme pro-vie. Il tente de découpler le féminisme du droit d'avorter, arguant que l'on peut croire au droit de la femme à l'autonomisation sans croire en son droit d'avorter. Ses promoteurs font état d'une lame de fond de soutien parmi les femmes jeunes qui cherchent à réinventer l'idéologie de leurs  mères.
Mais on ne peut séparer les droits des femmes de leur droit de contrôler leur fertilité. Le facteur unique le plus important pour la libération des femmes a été notre nouvelle capacité d'imposer notre volonté à notre biologie. L'avortement aurait été légal depuis des millénaires si c'était les hommes dont les espoirs d'avenir et les carrières qui avaient été soudainement bloqués par une grossesse inattendue. Le mystère sur lequel on s'est penché au cours de bien des sorties avec les filles est bien de savoir comment diantre les hommes, que Dieu nous les garde, ont réussi à se garder l'hégémonie politique et culturelle pendant une si longue période. La seule réponse possible est qu'ils ne sont pas soumis à leur biologie autant que nous le sommes. Regardez la carte du monde : le droit à l'avortement à la demande est presque exactement corrélé à l'attente que l'on peut avoir de vivre une vie libre de toute misogynie.
Comme toujours, lorsqu'une question que nous croyions blanche ou noire devient plus nuancée, la réponse consiste à choisir le moindre mal. Les presque 200.000 bébés avortés chaque année au Royaume-Uni chaque année sont le moindre mal, quelle que soit la manière de définir la vie, ou même la mort. Si vous êtes prêt à mourir pour une cause, vous devez être prêt à tuer pour elle, aussi.

On peut se demander toutefois pourquoi on ne pourrait pas séparer le droit des femmes de leur droit de contrôler leur fertilité. Le contrôle de la fertilité n'implique pas obligatoirement de pratiquer l'avortement, même si la logique est parfois la même. On pourrait continuer longtemps à développer chaque aspect de ce texte, mais il me semble qu'il est suffisamment clair et parle de lui-même.

 

En tout cacs, merci à Jeanne Smits d'avoir fait ressortir ce texte.

Rédigé par Polydamas

Publié dans #Pro-vie

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E
<br /> <br /> J'ai avorté. J'ai avorté à 19sa. J'ai avorté d'un bébé malade, qui n'aurait pas gâché ma vie s'il était arrivé vivant, mais qui aurait été opéré du coeur a 3mois sans certitude de guérison. Une<br /> opération risquée, qui aurait pu coûter la vie de mon fils de 3mois à qui nous nous serions attaché, avec des suites plutôt imprévisibles (certainement des problèmes à vie et qui sait... Une<br /> crise cardiaque à 15ans?)<br /> <br /> <br /> Vous n'avez certaibement jamais eu à faire ce genre de choix. Vous n'avez certainement jamais porté un enfant malade. J'en veux à Dieu de m'avoir fait ça, je lui en veux d'avoir pu pensé que je<br /> suporterai la mort de mon bébé lors d'une opération à coeur ouvert.<br /> <br /> <br /> Il risquait un gros retard mental que nous aurions pu géré, mais sa mort certainement pas.<br /> <br /> <br /> Nous avons donc perdu cet enfant et je n'ai certainement pas fait ça pour mon "petit confort" puisque depuis, je ne vis plus.<br /> <br /> <br /> Je ne vous souhaite pas ce qui nous arrive. Mais arrêtez vos discours qui nous font du mal, arrêtez de poster des photos chocs sur internet, arrêtez votre moral qui se base sur du "non vécu".<br /> <br /> <br /> Merci de ne pas censurer ce commenEetaire si possible, je réclame juste le droit de m'exprimer. <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
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P
<br /> <br /> Je vous demande pardon d'avance si je vous blesse par mes propos.<br /> <br /> <br /> Pas l'intention de censurer quoi que ce soit. Ensuite mon discours s'adresse à l'avortement de confort, mais je n'y inclus pas TOUS les avortements, loin de là, les situations tragiques existent<br /> partout, nul doute à cela. Je pense que l'IVG aggrave généralement les situations de détresse plutôt que facilite leur résolution (c'est même en cela que l'hostilité à l'IVG est un sentiment très<br /> "vécu" au contraire"). Et votre histoire n'a qu'un rapport lointain avec l'avortement, au fond, le moyen on s'en fiche, le problème, c'est pourquoi votre enfant était malade.<br /> <br /> <br /> A cela, je n'ai pas de réponse. Mais je reconnais tout à fait votre douleur, la fracture qui est la vôtre et votre probable haine de Dieu. Je suis certain d'une chose, en revanche, Dieu ne<br /> souhaite pas que vous "supportiez" la mort de votre bébé. Si vous n'étiez pas sensible à la mort de votre enfant, ce serait pire que tout. Au contraire, le fait que vous souffriez atrocement est<br /> la preuve que vous avez un coeur, que vous avez de l'amour pour votre enfant. Ce qui est très difficile à comprendre est que votre souffrance est le lieu où Dieu vous attend, c'est ce cri, cette<br /> gueulante contre Lui qu'Il veut entendre. Donc, quelque part, crier contre Dieu est ici l'un des meilleurs moyens de Le respecter. Du fond de sa détresse, dans le livre de Job, Job gueule de<br /> toutes ses forces contre Dieu qui le maintient pourtant dans sa déchéance.<br /> <br /> <br /> Je n'ai effectivement jamais eu à faire ce choix, mais il se trouve que j'ai un peu connu la souffrance, le fait d'en vouloir à Dieu, c'est un sentiment que je connais plutôt bien.<br /> <br /> <br /> "Il risquait un gros retard mental que nous aurions pu géré, mais sa mort certainement pas."<br /> <br /> <br /> Vous me dites d'un côté que vous ne vivez plus depuis votre avortement, et vous me dites que vous n'auriez pas pu gérer sa mort. Pas d'accord, je ne crois pas qu'il y ait situation pire qu'une<br /> autre, ces deux situations sont absolument horribles. En revanche, l'une est plus "naturelle" et moins traumatisante pour l'intériorité de la mère.<br /> <br /> <br /> Pardon si je vous ai blessée.<br /> <br /> <br /> <br />
L
<br /> <br /> Ancilla et Gwynfrid :<br /> <br /> <br /> « Justitia est constans et perpetua voluntas jus suum cuique tribuens », dit-on depuis Ulpien (IIIe siècle) : La justice est la volonté constante et perpétuelle de rendre à chacun le<br /> droit qui lui dû. Bien sûr, on ne voit pas que l’Eglise ait jamais nié ce principe, ni qu'il fallût attendre les vaticinateurs de 1789 pour le constater.<br /> <br /> <br /> <br />
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G
<br /> <br /> @ AncillaDomini<br /> <br /> <br /> "Vous me citez 3 lignes de Jean XXIII, mais outre le fait qu'une parole non infaillible d'un seul Pape ne fait pas la Tradition de l'Eglise, quels seraient ces "droits inaliénables" ?"<br /> <br /> <br /> Figurez-vous que si je mets un lien, c'est  pour vous proposer de cliquer dessus. Cela évite que mon commentaire dépasse en longueur le billet de Polydamas. Dans le cas présent, le lien<br /> contient la réponse à votre question: les droits en question sont listés très clairement (les devoirs aussi). Si vous allez tout en bas du document vous trouverez également une longue liste de<br /> références aux Écritures et aux textes des prédécesseurs de Jean XXIII, dont une grande partie est également disponible en français sur le site du Vatican, ce qui vous permettra de vérifier que<br /> tout ceci n'est pas une lubie sortie un beau matin de la tête d'un Pape, mais s'ancre bel et bien dans la tradition chrétienne.<br /> <br /> <br /> Le reste de votre commentaire me donne le sentiment que vous voyez ces droits comme une tentative d'immixion dans la relation entre l'homme et Dieu. Cela me paraît hors sujet. Il est bien clair<br /> que cette notion traite de la relation entre les hommes, ou entre les hommes et leurs gouvernements. Quand Léon XIII écrit que "Les droits doivent être partout religieusement respectés. L'État<br /> doit les protéger chez tous les citoyens en prévenant ou en vengeant leur violation" (dans Rerum Novarum - un autre document qui parle de droits, et ce sur bien plus que 3 lignes) il ne<br /> demande pas à l'État de prendre la défense de Job contre Dieu (!) mais bien contre d'autres hommes, ou contre l'État lui-même.<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br />
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A
<br /> <br /> @ Gwynfrid :<br /> <br /> <br /> Fort bien. Vous me citez 3 lignes de Jean XXIII, mais outre le fait qu'une parole non infaillible d'un seul Pape ne fait pas la Tradition de l'Eglise, quels seraient ces "droits<br /> inaliénables" ?<br /> <br /> <br /> Un droit est quelque chose qui nous dû et dont la privation est une injustice absolue. Droit à la vie ? Droit aux soins médicaux ? Droit à l'éducation ? L'Eglise enseigne que donner la vie,<br /> soigner et éduquer sont des devoirs qu'exige la vraie Charité, mais n'enseigne pas qu'il s'agirait de droits. L'exemple de Job nous le montre : assis sur son tas de fumier, malade, miséreux,<br /> abandonné, il se plaint de ses malheurs et Dieu le réprimande parce que l'homme n'a pas à porter de jugement sur la Justice de Dieu. Si vraiment les soins et un niveau de vie décents avaient été<br /> des droits, Dieu aurait été injuste et insensible ce faisant.<br /> <br /> <br /> Le Christ a pris les lépreux, les malades, les paralytiques et les miséreux en pitié, et cependant Il n'a jamais dit qu'il y avait un "droit" aux soins ou à la nourriture. C'est un exemple<br /> du devoir de Charité qu'Il a donné, et celui qui n'exerce pas cette Charité est inique. Mais un devoir dans un sens n'implique pas un droit dans l'autre.<br /> <br /> <br /> C'est la pensée des "lumières" qui a fixé ces fameux "droits de l'homme" concurrentiels et contradictoires, mais il ne s'agit en aucun de la Tradition de l'Eglise. Ces "droits de l'homme"<br /> ont été voulus par leurs auteurs comme une opposition aux Droits de Dieu que sont les Dix Commandements. Seul Dieu a véritablement des droits (dans le sens des prérogatives qui Lui sont<br /> absolument dues).<br /> <br /> <br /> <br />
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G
<br /> <br /> @ AncillaDomini: "Le fondement de toute société bien ordonnée et féconde, c'est le principe que tout être. humain est une<br /> personne, c'est-à-dire une nature douée d'intelligence et de volonté libre. Par là même iI est sujet de droits et de devoirs, découlant les uns et les autres, ensemble et immédiatement, de sa<br /> nature : aussi sont-ils universels, inviolables, inaliénables". C'est dans Jean XXIII - Pacem in Terris.<br /> <br /> <br /> @ Polydamas: disons alors que ce point mérite développement, si on souhaite avancer au-delà de la simple dénonciation. J'admets volontiers que dans les droits des femmes, il y a plus important<br /> que l'IVG pris isolément. Mais la question ne peut s'arrêter là. La question est : le droit à l'IVG est considéré par ses partisans (et par la majorité de la société) comme une conséquence<br /> logique des droits plus généraux des femmes. Vous ne pourrez pas réaliser la séparation dont vous parlez tant que vous n'avez pas de réponse concrète sur ce point: c'est cette réponse qu'essaient<br /> d'apporter les pro-life feminists.<br /> <br /> <br /> <br />
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