Erdogan et Kosovo

Publié le 18 Février 2008

Voilà, c'est dit, confirmé et maintenu. Plus d'excuses. Pas de retour en arrière possible.   

"Je le répète : l’assimilation est un crime contre l’humanité."

Crime contre l'humanité, ce nécessaire travail de compréhension des valeurs du pays hôte ?
Crime contre l'humanité, cette nécessaire adoption des coutumes du pays d'accueil ?
Crime contre l'humanité, cette nécessaire ouverture qu'impose l'intégration ?

On croit avoir mal entendu. Le crime contre l'humanité désigne généralement un génocide d'une ampleur telle qu'il dépasse toute raison, toute discussion. C'est la mort industrialisée, l'horreur absolue.  Mais non, rien de tout cela, pour Erdogan, l'assimilation, à savoir l'intégration, jusqu'au point de changer de culture, serait un crime contre l'humanité, serait un crime de cette ampleur ?

Appliqué à la France, dont le modèle a toujours été celui de l'intégration républicaine par l'école et le travail, la sentence laisse songeur.

Alors que les bobos insultent, à la moindre occasion, les nationalistes de tout poil, le franc-parler du premier ministre turc a le mérite de les remettre à leur place. Si certains pays anciennement colonisés par les occidentaux ne se privent pas d'exhiber une légitime fierté, seul l'homme blanc occidental chrétien n'a pas le droit de faire de même. Mieux, en faire étalage serait obscène, vulgaire, digne des stades de foot, où l'hymne n'aurait pas encore été copieusement sifflé.

Et dans le même temps, l'indépendance du Kosovo, voulue, désirée et mise en place par les Américains, est faite. Si, sur tous les sujets ou presque, que ce soit la guerre en Irak (oui, j'assume) ou le conflit israelo-palestinien, j'ai tendance à prendre parti pour nos amis américains, cette décision n'est rien de moins qu'une trahison. Une honte, et ce n'est pas parce que Milosevic était une crapule que cette décision est pour autant légitime. Les Américains jouent cyniquement leur jeu, les Européens sont infoutus de défendre leur histoire, et la province du Kosovo, province serbe peuplée majoritairement de musulmans, bien que racine historique d'un pays européen, fait sécession.

C'est la logique du suffrage universel poussée à son paroxysme, la négation de l'histoire, le refus des coutumes, du passé de la province, toutes orientées vers la Serbie. Pour preuve, les kosovars, afin de faire valoir leurs droits, sont obligés de remonter au VIe siècle pour justifier cette indépendance. Autant que la France fasse un procès à l'Italie pour la Guerre des Gaules.

Le reste est d'une logique imparable. Une démographie plus forte que les serbes, une immigration en provenance d'Albanie, sans que la Serbie puisse contrôler quoique ce soit, et le pragmatisme américain a fait le reste.

Alors, même si je ne remets pas en cause la nécessité d'un gendarme mondial, l'amende est tout de même chère payée. Pour une fois, au niveau européen, l'unanimité n'est pas rassemblée. A cet égard, significative est la réaction de tous les pays touchés de près ou de loin par le séparatisme. L'Espagne, la Roumanie, la Grèce, la Slovaquie et Chypre n'envisagent pas de reconnaitre le nouveau pays. Trop peur de donner des idées à ceux que la vision du drapeau ou l'écoute d'un hymne national fait vomir.

Encore plus fort. L'Indonésie elle-même, premier pays musulman de la planète, ne souhaite pas reconnaitre le Kosovo, de peur d'encourager les séparatistes dans toutes les iles indonésiennes. Ils ont beau être des frères dans la foi, ils ne sont pas fous, ils ne vont pas se tirer une balle dans le pied.

Même si certaines bonnes âmes m'objecteront que ces deux faits n'ont rien à voir, ce qui est vrai, je trouve tout de même symptomatique qu'au moment où la province du Kosovo prend son indépendance, le premier ministre d'un des pays apportant le plus d'immigration à l'Europe s'exclame que l'intégration est inenvisageable, mieux, elle est "un crime contre l'humanité".

Comment ne pas rapprocher ces deux faits ?
Comment ne pas y voir le destin de certains pays d'Europe à plus ou moins longue échéance ?

Et surtout, quelle belle claque Erdogan n'administre-t-il pas aux bobos de tous les pays, pétris d'humanisme et de vivre-ensemble ? Tous ces bobos ne voient-ils pas que cet impératif de l'intégration, cette violence de l'assimilation est nécessaire pour éviter des partitions de Kosovos ? Et il y en a encore qui sont pour l'entrée de la Turquie en Europe ?

Universalité des droits de l'homme ? Rien à foutre, nous dit Erdogan.
Bon sentiments, intégration, humanisme, accueil, ouverture ? Rien à carrer, renchérit-il.

Mieux, pourrait continuer, à la fin c'est nous qui l'emportons, puisque les Américains, l'UE et l'OTAN sont là pour nous garantir nos droits à l'indépendance. Propos qui ne sont pas sans rappeler les appels incessants à la repentance de la part d'un Bouteflika, les rengaines plus ou moins extrémistes des chanteurs de rap, dont il serait trop facile de donner des exemples, ou encore la prophétie d'un Boumedienne.

L'assimilation, donc, est un crime contre l'humanité.

Quelqu'un a demandé leur avis aux Kurdes ou aux Arméniens, qu'on rigole ?


 
(A lire également, sur le même sujet, Hoplite.)

 

Rédigé par Polydamas

Publié dans #Relations internationales

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S
A la place de l'Allemagne, pays où vit la plus grande communauté de Turcs, j'aurais quelques inquiétudes.Ne nous étonnons pas le jour où les Arabes des Bouches du Rhône voudront leur indépendance. D'ailleurs Marguerite Duras avait déjà proposé à Mitterand de leur donner ce département.
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N
Une précision quant au paragraphe 5 de votre article: la Turquie n'a jamais été colonisée. Et son nationalisme farouche date de la fondation de cet état, dans les années 20.Maintenant, s'ils refusent de s'assimiler, tant mieux, nous auront moins d'états d'âme à les "raccompagner" chez eux le moment venu...
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P
Mais je ne dis pas que la Turquie a été colonisée, je fais référence à des pays comme l'Algérie, ou à des mouvements comme le CRAN, qui nous tombe sur le râble à chaque fois, qu'il nous viendrait à l'idée d'être fier de notre pays, je vous rappelle la non-manière dont on a fêté le bicentenaire d'Austerlitz...Effectivement, je mélange toutes ces réactions, qui n'ont pas forcèment grand-rapport entre elles (car je sais bien que la Turquie et l'Algérie n'ont pas grand-chose en commun), car elles vont  toujours dans le même sens. L'homme occidental a fait trop de mal au monde, à lui de payer, désormais.
P
la dérision est une bonne arme
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P
Tout à fait...
D
Il y a un intéressant article de Colosimo dans le Figaro d'aujurd'hui, sur le Kosovo.
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P
T'aurais un lien, j'arrive pas à le retrouver, sur le site du Fig' ?
D
Je suis moins scandalisé par le fait que les albanais du Kosovo aient proclamé leur indépendance que par l'aide implicite (pour employer une litote) qui leur a été accordée par américains et français. Les français n'aiment pas la Serbie, c'est un fait. Pourquoi? En tout cas on a là un bon exemple de ce qui risque d'arriver ailleurs et qui s'est déjà produit de par le monde.Quant à la sortie  d'Erdogan, elle ne surprendra que les naïfs. J'ai toujours appris à l'école que les balkans étaient une poudrière, une menace pour la paix en Europe, à cause d'un mélange explosif de nationalités antagonistes. On est en train de récréer de nouveaux balkans ailleurs en Europe. Les leçons du passé ne servent donc à rien.Tu avoues avec une belle franchise Polydamas ton soutien à la politique irakienne et israélienne des américains. N'es-tu pas d'accord pour admettre que c'est une faillite totale? Il n'y a la paix ni en Irak, ni en Israël. Et des gens souffrent. et ce n'est pas sur le point de finir.
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P
Sur ta première partie, je suis tout à fait d'accord avec toi, ça fait longtemps que le Balkan pourrit la vie européenne. Sur le Moyen Orient, faillite totale, non, parce que tout dépend des objectifs américains, qui sont probablement différents de ceux officiellement affichés.Porter la guerre en Irak aux dépens des populations civiles locales, c'est virer un dictateur sanglant (même les Irakiens reconnaissent préferer la situation actuelle à celle de l'Irak sous Saddam), sécuriser l'approvisionnement en pétrole, créer un point de fixation qui attire les terroristes (au lieu d'avoir des terroristes dans les fenêtres du WTC, on les a contre l'armée américaine, qui elle, peut se défendre), surveiller les allées et venues de tout le monde, et notamment de l'Iran, dans la région, toutes choses qui peuvent justifier aisément une guerre sans que l'on arrive pourtant à la paix. C'est un point de vue peut-être un peu cynique, mais qui se défend, je pense.Concernant Israel, le problème est tellement complexe que je ne m'y aventurerais pas, tant l'idée d'un état palestinien s'impose, mais que cela reste une aberration dans la situation actuelle, vu que personne n'imagine que cet état soit viable, divisé entre la Cisjordanie et la bande de Gaza, et on ne va pas parler du Liban, et de la Syrie. C'est un bazar sans nom, et il est normal que même les Ricains soient incapables de faire quoique ce soit...