Kahn prône l'ordre moral
Publié le 1 Octobre 2007
Je trouve significatif que la gauche, pour justifier son opposition à l'amendement sur l'ADN utilise une posture qu'elle n'a eu de cesse de dénoncer à maintes reprises, celle de l'ordre
moral.
Via le Salon Beige, je décrouvre qu'Axel Kahn ne s'en cache pas dans sa tribune, annoncant les choses clairement, dès le titre de son article:
ADN et immigration, d'abord une question de morale
Par Axel Kahn, médecin généticien, directeur de l'Institut Cochin, Université Paris Descartes
L'Assemblée nationale française vient d'adopter, dans la nuit du 19 au 20 septembre 2007, un projet de loi sur l'immigration dont un des articles est, sans conteste, en contradiction avec la loi française de 1994 (loi dite de bioéthique).En effet, l'amendement proposé et soutenu par le rapporteur de la commission des lois, Thierry Mariani, stipule que le regroupement familial sera facilité par la présentation de tests génétiques prouvant une filiation biologique. Cela signifie que la famille susceptible d'être autorisée à se regrouper en France est en grande partie définie par des critères biologiques, notion que rejette la loi de 1994.
Le ton est donné, on ne réfléchit pas sur la pertinence de la mesure, on ne tient pas compte de la situation difficile des états-civils dans les pays concernés, ni des problèmes que peut poser la
fraude (comme on l'a constaté avec, par exemple, la pension des anciens combattants, combattants qui ont l'air d'avoir une longévité record dans certains pays), toutes les procédures
d'immigration n'étant pas similaires d'un pays à l'autre.
Je ne sais pas ce qu'il en est réellement, je suis incompétent sur le domaine. Reste que dans des pays où la notion de légalité et d'état-civil est beaucoup plus "élastique" que la notre, je ne
vois pas en quoi utiliser l'ADN comme une carte d'identité serait choquant. L'ADN est la nouvelle empreinte digitale, la carte d'identité parfaite.
L'un des arguments majeurs du rapporteur du projet était qu'une telle mesure était appliquée en routine dans douze pays européens, dont le Danemark, la Finlande, l'Italie, l'Allemagne, l'Angleterre. Ces informations ne sont pas conformes à la réalité. Il n'y a de lois encadrant les tests génétiques dans le cadre du regroupement familial, ni en Italie, ni en Allemagne, ni en Angleterre. En fait, la France serait plutôt isolée en Europe si elle adoptait le texte.
En Italie et en Allemagne, les tests sont utilisés de façon exceptionnelle, pratiqués par des laboratoires nationaux dans des cas très particuliers, à la demande de familles, sans que cela s'intègre à un dispositif sélectif supplémentaire. Par ailleurs, les pays nordiques ont aussi, durant des décennies, appliqué des lois eugéniques que la France a rejetées. Qui s'est grandi aux yeux de l'histoire, eux ou nous ?
Pourquoi diable vient-il nous parler d'eugénisme ?
Où y a-t-il, dans le projet de loi, le moindre soupcon d'eugénisme, c'est à dire de sélection des gènes, d'éliminations des plus faibles, en vue d'une constitution d'une race ou d'une société meilleure ? Kahn utilise ici l'épouvantail de l'eugénisme (qui est effectivement un danger, mais beaucoup plus en ce qui concerne les problémes posés par le DPI ou la sélection des embryons, qu'en matière de lois sur l'immigration) pour choquer le lecteur, et lui faire abhorrer cette loi.
Pas très sérieux pour un généticien, personne n'a jamais prétendu qu'on allait sélectionner les gènes et éliminer les personnes jugées incapables de se conformer à un idéal racial.
Le Sénat, qui sera appelé à aborder ce projet dans les jours qui viennent et, le cas échéant, le Conseil constitutionnel, apprécieront la constitutionnalité d'une telle contradiction entre deux textes de loi, l'un s'appliquant aux familles françaises dont les contours ne peuvent être définis seulement par la biologie, et l'autre aux familles étrangères qui relèveraient des lois du sang.
Sans préjuger de la décision des sénateurs et des hauts conseillers, je tiens à souligner que l'article traitant de l'utilisation des tests génétiques dans l'établissement des dossiers de regroupement familial est, d'un point de vue philosophique, immoral.
Allez, c'est parti, la droite n'a pas le droit d'appliquer sa loi car elle est immorale.
La bonne blague !
Mais la seule moralité que la démocratie exige, faut-il le rappeler, est celle du suffrage universel. On nous l'a suffisamment répété. En outre, l'ordre moral que prône Kahn va en totale contradiction avec les slogans perpétuellement ressassés.
D'abord parce que l'argumentation développée pour emporter la conviction des députés n'est pas sincère. Et, surtout, parce que l'impératif catégorique d'Emmanuel Kant nous interpelle - et cette interpellation concerne bien sûr aussi les députés - : « Agis selon la maxime qui peut en même temps se transformer en loi universelle. »
Cet impératif a été maintes fois critiqué, mais n'a jamais été considéré insignifiant. Des notions fondant le droit international telles que l'universalité des droits de l'homme, aussi bien que le bon sens populaire (ne fais pas à autrui, ce que tu n'aimerais pas que l'on te fît), s'y réfèrent implicitement. À l'aune de ce corpus philosophique et juridique dont se réclament en principe toutes les nations représentées à l'ONU, il est indéfendable sur le plan moral d'adopter des définitions différentes des familles selon qu'elles sont d'ici ou d'ailleurs. Il est de la sorte peu contestable que l'article de loi dérivé de l'amendement de Thierry Mariani est en effet immoral.
Bien sûr, personne n'est assez naïf pour imaginer que la politique puisse se limiter jamais à la poursuite d'objectifs moraux. À l'encontre d'un certain irénisme d'Emmanuel Kant, Hegel notait avec justesse que, selon ce principe, bien peu de grandes choses auraient été accomplies dans l'histoire. Cependant, la question mérite d'être posée : une loi immorale, s'appuyant sur des données incorrectes, quand bien même elle a été adoptée par une instance démocratique, est-elle légitime ?
Par un tour de passe-passe, Kahn tente de démontrer que c'est immoral que d'appliquer à des familles des règles qui ne s'appliqueraient pas à toute les familles. Cette argumentation est complétement aberrante, Kahn faisait ici complétement l'impasse sur l'idée de nation, et que le monde ne vit pas sous le joug d'une seule et même coutume. Qu'a en commun la notion de famille en Amazonie, dans les pays occidentaux, sans parler de la polygamie chère à certains pays ?
A ce titre, les schémas les plus aberrants seraient légitimées. Dans certains milieux, notamment ceux de l'aristocratie française, on n'hésite pas à affirmer, en matière de boutade, que tous les aristos sont cousins, il suffit uniquement de remonter au bon ascendant....
Je caricature certainement, mais en vertu de ce principe, il suffirait qu'un parfait inconnu se réclame de la famille d'un immigré présent en France pour qu'il fasse partie du regroupement familial. C'est ce que souhaite Kahn, puisqu'il ne veut pas d'autres moyens pour vérifier la conformité de l'individu avec l'état-civil. Car, en France notamment, la notion de famille est principalement liée au sang, et à la filiation.
C'est là le débat qui n'a jamais cessé depuis que les termes en ont été posés par Sophocle dans son Antigone. Créon dit la loi, non démocratique dans son cas. Antigone se réfère quant à elle à des valeurs irréductibles à la loi. Il n'existe pas d'issue satisfaisante à des tragédies de cet ordre. Le compromis démocratique est que le peuple souverain protège aussi Antigone qui le conteste.
Mais, en amont de situations de blocage de ce type, peut-être vaudrait-il mieux que les parlementaires les évitent. Au moins, s'ils en décident autrement, qu'ils aient conscience que le texte qu'ils s'apprêtent à adopter, même s'il jouira d'une légitimité démocratique, restera moralement illégitime.
Si c'est la voie dans laquelle s'engagent nos parlementaires, qu'ils sachent que, bien sûr, les citoyens seront moralement justifiés de s'opposer aux dispositions de ce texte.
Heureux de voir que Kahn connait ses classiques. Sauf que, ce que ce monsieur a l'air d'oublier, cette attitude s'applique parfaitement à un autre cas, l'avortement. Que n'a-t-on pas glosé sur les "commandos pro-life", des croyants venus prier pacifiquement dans des avortoirs ? On a parlé de la violence de ces méthodes, et insisté sur "l'ordre moral" de ceux qui ne se sont pas résignés à ce qu'on tue des millions de bébés sans rien faire. Inutile de dire que cette opprobe publique, ces anathèmes, majoritairement lancés par la gauche.
Quant à son compromis démocratique qu'un instant d'énervement me pousserait à insulter sans complaisance, qu'il me soit permis de signaler que ce n'est rien d'autre qu'une illusion, les militants pro-vie ayant été sanctionnés pour avoir sauvé des vies, et beaucoup plus lourdement que ceux qui avaient démoli des McDo, ou défendu des clandestins expulsés.
Décidément, inconsciemment, la gauche n'a définitivement pas perdu le monopole du coeur.
Ils sont incorrigibles.