Les homosexuels nous montrent la voie
Publié le 15 Novembre 2012
Il m'est arrivé, lors de conversations au ton provocant, d'affirmer que les catholiques étaient des homosexuels comme les autres. Par là, je n'entendais pas faire de commentaires sur la sexualité des uns ou des autres, mais attirer l'attention de mes contradicteurs sur le fait que les blessures de certaines personnes à désir homosexuel sont des blessures auxquelles chacun doit faire face, et en particulier, les catholiques. Il se trouve que, du fait de sa nature, la blessure homosexuelle est bien plus visible que les blessures des autres, qui, même si elles ne concernent pas les sentiments ou la vie en couple, nous rendent tous handicapés. La blessure homosexuelle n'est rien d'autre qu'un appel à ce que chacun explore sa propre faille, l'habite, en fasse le deuil et la dépasse. Les catholiques diraient vivre sa Passion, mourir sur la Croix, et ressusciter.
Ces réflexions me sont revenues à la lecture du texte chez Incarnare d'Audrey. Qui décrit comment une femme, au désir lesbien, est devenue hétérosexuelle, non pas en reniant son homosexualité, mais en y allant en profondeur, en l'explorant, en habitant son désir et en comprenant ce qu'il recouvre. Via le travail habituel de psychothérapie et de psychanalyse. Et plus profondément, je trouve ce texte passionnant non par ce qu'il dit sur l'homosexualité, mais par ce qu'il dit sur le désir, et la manière dont celui-ci construit ou défait nos vies.
Le billet commence par le début de sa vie sexuelle, la manière dont elle tombait amoureuse d'autres femmes, et l'instabilité qui en résultait. Pour qui a connu les affres de la passion, les "montagnes russes perpétuelles" dont parle Audrey sont très familières. La finalité de ce désir, c'est sa satisfaction, c'est à dire sa disparition, ne plus faire qu'un avec l'autre.
Mais je sentais que quelque chose n'allait pas. Plus exactement, il y avait une frustration énorme: cette impossibilité de ne faire qu'une. Nous passions notre temps à tourner autour de cette impossibilité-là.
Le désir, ou la passion, provenant des couches les plus profondes de l'individu, est une tentative d'apaiser la soif d'amour et de présence dans une fusion idéalisée avec l'autre. Mais la fusion n'est pas possible, l'autre restant définitivement autre, même au sein de la sexualité la plus débridée, ou de la spiritualité la plus profonde. Et oui, au travers de cette blessure là, il y a un amour qui passe, il y a une profondeur, une richesse démentielle. L'amour névrosé, blessé, reste de l'amour. Mais de l'amour probablement pas assez fécond, et très insatisfaisant, parce que beaucoup trop axé sur l'imaginaire, et sur des blessures que personne, et surtout pas l'être aimé, ne sont capables de combler.
Elle dit à la fin, et cette phrase fait le titre du billet :
"C'est la nature du désir homo que de vouloir absolument que la réalité s'adapte à lui. On se ment ensemble."
Elle a tort sur ce passage, c'est pour ça que le titre me semble mal choisi. Ce n'est pas la nature du désir homo que de vouloir que la réalité s'adapte, mais la nature du désir tout court. On peut se mentir ensemble, entre hétérosexuels. La différence essentielle entre amour et désir, est que l'amour accepte le réel tel qu'il est, alors que le désir tente de le plier à sa convenance. Pris dans cette tornade inconsciente, l'individu peut chercher à adapter l'autre à cet imaginaire, à le faire rentrer dans ses failles, au lieu de l'accueillir tel qu'il est. La réification de l'autre, à son propre service, ce qu'on pourrait appeler l'idôlatrie chez les catholiques, n'est pas loin. D'où la tyrannie, la domination, et toutes les névroses associées qui nécessitent, pour en être libéré, d'aller au plus profond de cette blessure.
Qu’est-ce qui t’a paru insatisfaisant dans tes expériences avec des personnes du même sexe ? Que manquait-il ?
La grande question :) C'est ce qu'il y a de plus en plus difficile à saisir. La force des sentiments, elle est là et bien là. Le désir, il est là aussi. En fait il ne manque qu'une chose: l'incarnation dans l'altérité. Derrière cette formulation un peu pompeuse il y a une réalité très concrète: une insatisfation profonde qui se mue en une sorte de frénésie, de rage. (...) C'est la spécificité de ce désir qui bute dans sa cage étroite de la non-incarnation qui fait que la sexualité homo a quelque chose qui rejoint la recherche de "toujours plus de sensations fortes" que l'on trouve dans différentes formes de toxicomanie. Je sais que ce que je dis là risque de faire hurler, mais c'est la stricte vérité.
Là aussi, pas certain du tout que cet extrême apparaisse uniquement dans le désir homosexuel, il est tout à fait présent également chez les hétéros, et la frénésie de sexualité qui peut emporter certains. Ce qu'elle précise ensuite, les histoires compliquées étant toutes aussi présentes chez les hétérosexuels. Précisons que la passion peut avoir 50 explications possibles, c'est le rôle d'une psychothérapie correctement menée que de discerner le cocktail qui y a abouti. Sachant que le plus important n'est pas tant de savoir pourquoi on éprouve ce désir, de manière cérébrale, que de l'assimiler, de manière beaucoup plus affective.
Evidemment, ce désir a quelque chose de bon en ce qu'il oblige l'homme à bouger. Ce dernier prend conscience d'un manque, d'un vide qu'il lui faut combler. Mais le hic arrive vite, la passion une fois satisfaite, se rallume d'autant plus, et prend toujours plus d'ampleur. Jusqu'à tant qu'elle disparaisse définitivement, ce qui n'est pas possible, l'imaginaire étant insatiable. D'où une fuite en avant perpétuelle qui peut se traduire par une fuite dans la sexualité, la spiritualité, bref, tout ce qui permet à l'individu de ne pas faire face au réel et à son désir tonitruant. En ce sens, un désir un peu trop ardent n'est rien d'autre que le reflet d'un manque d'acceptation de soi-même.
Tout cela dépasse bien entendu le cadre de la "communauté" homosexuelle : tous ces comportements, on les retrouve également chez les hétéros qui ne s'aiment pas eux-mêmes. Accuser le monde ou la société de ses maux, c'est pas homo, c'est humain !
Beaucoup de monde a une grande difficulté à adopter une saine attitude envers soi-même. Et elle aurait pu rajouter dans la liste des accusations, Dieu, qui a le dos suffisamment large pour qu'on lui attribue, faussement, est-il utile de le préciser, tous les malheurs de cette planète.
Le désir entre un homme et une femme qui s'aiment est très différent du désir entre deux personnes de même sexe qui s'aiment. C'est très paradoxal: un homme et une femme se savent différents et savent également que leur union ne les fera pas Un durablement, mais l'amour physique entre eux les statisfait en faisant grandir leur différence.
C'est vrai, si l'homme et la femme s'Aiment, si la relation est basé sur la Vérité, c'est à dire une conscience, plus ou moins importante des blessures de l'un et de l'autre, et donc des motivations respectives. En revanche, si la relation n'est pas fondée sur la vérité, elle risque d'être motivée par le désir, et devra passer au creuset du temps, des épreuves, pour se transformer en amour. Ce qui arrive de moins en moins souvent, la lassitude cassant tout auparavant. Par exemple, une relation fondée sur un complexe d'Oedipe où l'un et l'autre épouse quelqu'un ressemblant à son père ou à sa mère, n'est pas moins névrosée qu'une relation homosexuelle. La blessure est différente, mais l'altérité ne change rien au fait que les conjoints ne sont pas conscients des motivations profondes qui les animent, et qui risquent, évidemment, de ressortir à la première difficulté. Peut-être pourra-t-on dire que le désir hétérosexuel a une incarnation potentielle plus importante. Ce qui ne veut pas dire qu'il soit davantage incarné, il y a certainement des homos dont l'amour est plus incarné que certains hétéros.
Et enfin, elle termine:
C'est bien pour ça, d'ailleurs, que ces revendications trouvent un écho aujourd'hui, dans notre société: collectivement, nous avons tous du mal avec la réalité. Les militants LGBT ne sont que le symbole d'un monde où l'on rêve, grâce à la technologie, de se faire tout seul. C'est ce qui me gêne, chez beaucoup d'anti-mariage pour tous : certains se battent contre les homos, pas pour le bien commun. Le bien commun, ça supposerait par exemple que, en plus de ne pas autoriser de "mariage gay", on repense sérieusement la question du divorce, que l'IAD soit interdite. Parce que quand on autorise l'IAD chez les couples homme-femme, là aussi on trafique la filiation. Or, je n'ai pas entendu beaucoup de voix, sauf un peu à l'intérieur de l'Eglise, faire bloc contre cette disposition quand elle est passée. Il y a un gros risque aujourd'hui de faire des personnes homosexuelles des boucs émissaires à qui on refuserait des « aménagements du Réel » qu'on permet à d'autres. Ce n'est pas acceptable.
Effectivement, le mariage n'est pas tant attaqué par les homos, que par le divorce. Divorce qui est une des conséquences logiques du mariage de passion, ne parvenant pas à franchir l'étape supplémentaire de l'amour.
Pour finir, c'est en allant au plus profond de cette blessure, c'est ce que nous apprennent les mystiques, que l'on rencontre Dieu. Le meilleur résumé des Béatitudes est cette phrase d'Audiard de Milligan (ou de Groucho Marx, on ne prête qu'aux riches), très juste : "Heureux les fêlés, car ils laisseront passer la lumière.". Et l'aboutissement du travail psychothérapeutique, la plongée dans l'amour est justement d'éprouver cette habitation, de nous laisser transpercer par la lumière divine, pour en inonder les autres. C'est en cela qu'on peut dire que notre blessure est notre plus grande richesse. "Heureuse blessure" aurait-dit St Augustin.