Cette urine, c'est la mienne
Publié le 16 Avril 2011
L' affiche Piss Christ fait scandale chez les catholiques. L'émotion est bien compréhensible, notamment lorsque l'on constate les divers traitements réservés aux religions. On pense immédiatement au respect, voire à la déférence que le monde médiatique ou artistique adopte avec l'islam ou le judaïsme. La comparaison est cependant peu pertinente, à mon sens. Y a-t-il un seul catholique qui souhaiterait que sa religion ait la même image que l'islam ? J'en doute fortement. Nous sommes martyrs, et sommes nés pour ça, il nous faut le comprendre et l'accepter, la mission est claire.
C'est donc notre honneur et notre bénédiction d'être un objet de dérision, c'est même cela qui fait la supériorité du christianisme. Chaque insulte, chaque injure est un hommage rendu à la croix, qui reste et demeure notre faiblesse, notre blessure, notre scandale. Nous sommes catholiques, nous ne pouvons y échapper.
La semaine sainte commence demain. L'occasion de rappeler que c'est nous
qui crucifions le Christ tous les jours de notre vie, à chaque seconde. Que malgré nos prières, nos louanges comme le jour des Rameaux, nous continuons à le flageller par nos fautes. Cette photo
est donc l'incarnation de ce que nous faisons vivre au Christ tous les jours. Face à cette question, plusieurs attitudes sont possibles.
Il y a ceux, parmi les catholiques, qui sont à peine touchés, ne se sentent pas concernés et qui considèrent qu'il ne faut rien dire, rien tenter, on risquerait de passer pour des méchants intégristes, de méchants catholiques ou qu'il faudrait ne rien faire, parce que stratégiquement ou médiatiquement parlant, ça serait plus intelligent. Le respect humain dans toute sa splendeur.
Il y a ceux, parmi les catholiques, qui sont touchés, qui voient leur foi bafouée, foulée aux pieds, et qui considèrent qu'on peut changer les choses. Qu'on peut se battre. Qu'on doit se battre. Oui, pourquoi pas, ne doit-on pas réagir à chaque fois que notre Dieu est injurié ? Mais n'est-ce pas une vision beaucoup trop matérialiste ou politique des choses ? (Parenthèse : inutile de dire que j'ai beaucoup plus de respect pour ces derniers que pour ceux qui considèrent qu'il ne faudrait pas choquer le bourgeois, et qui n'en sont même pas touchés, l'art contemporain pouvant tout justifier. Au moins ceux-là, malgré leurs défauts, ont-ils encore un peu le sens du sacré, montrent-ils qu'ils sont blessés par ces outrages)
Et il y a ceux, parmi les catholiques, qui souffrent de ce blasphème, profondément, personnellement, dans leur chair, mais qui savent également que ce soi-disant "artiste" n'y est pour rien. Ce sont eux qui ont mis ce crucifix dans cette urine, Serrano ne faisant que traduire en actes, ce qu'ils ont fait spirituellement par leurs péchés.
Interrogeons-nous brièvement : quelle est notre blessure par rapport à cette photo ? J'aimerais pouvoir dire que ma blessure est profonde à voir un tel objet de scandale. Que je me tais par douleur de savoir que c'est moi qui l'y ai mis. Mais si je suis honnête, la seule réponse à faire est que non, je ne suis aucunement lié à cela. Et pourtant, de la même façon qu'il y a une communion des saints, il y a également, en parallèle, une responsabilité collective des fautes. En conséquence, la vérité simple et unique est celle-ci : c'est moi qui l'ait fait. La question n'est donc pas s'il faut interrompre cette exposition immédiatement. La question est plutôt : à quel point vous reconnaissez-vous dans Andres Serrano ? N'est-ce pas moi, par mes fautes, qui ait mis le Christ dans ces excréments ? Ne suis-je pas Andres Serrano ?
Suis-je en train de justifier l'immobilisme ? Aucunement. Car les grandes douleurs sont muettes. Et se réfugient dans la prière. St Jean s'est-il précipité sur la croix pour détacher le Christ ? Non. Il est resté à contempler ce Christ malmené, défiguré, transpercé, outragé, violenté, injurié, humilié et sali. Dans le rite tridentin, le vendredi saint, le prêtre, durant l'office, découvre le bois de la croix en montant à l'autel et dit "Ecce lignum crucis" - "Voici le bois de la croix". Et il vient ensuite l'embrasser pieds nus. Mais l'on oublie (et c'est là tout le mérite du film la Passion de Mel Gibson que de le rappeler) que cette croix n'était pas propre et lisse mais pleine de sang, d'excrément, de crachat, de pus, de tout ce qui fait l'humain. Qu'elle est ce qu'il y a de pire dans l'ignominie, et la déchéance.
Et pourtant le Christ l'a portée, l'a soulevée, l'a embrassée, jusqu'à en mourir.
Alors, non, la seule réponse qui vaille est de suivre St Jean, de ne rien dire, de ne pas crier, de ne pas gesticuler, mais de prier face à l'exposition, en silence, sans gêner qui que ce soit, ni les visiteurs, ni les passants, en méditant sur ce Dieu que nous, et nous seuls, avons obligé à descendre du ciel pour se mêler à nos excréments.
Car cette urine dans laquelle est plongée le Christ, c'est évidemment la nôtre, mais c'est surtout la mienne.