Atlas Shrugged, le livre qui réhabilitait le capitalisme
Publié le 17 Janvier 2014
Atlas Shrugged (La Grève, en français) a été écrit en 1957 par Ayn Rand (1905-1982). Ce billet étant une critique de ce long livre (1200 pages), ne le lisez pas si vous souhaitez le lire un jour, attention, spoiler.
L'histoire est celle de l'élite des Etats-Unis, individus intelligents à la tête du management des plus grandes entreprises américaines. Mais la société dans laquelle ils vivent décide de les imposer plus que de raison, voire de leur confisquer leurs biens au nom de la solidarité, de l'aide à ceux qui ont moins reçu ou réussi. Progressivement, une société de plus en plus collectiviste se met en place. Face à cela, ces individus (symbolisés par Atlas portant la Terre) se rebellent, décident de quitter leurs hautes responsabilités et font donc la grève, et en finissant par rejoindre une vallée où ils vivent en vase clos. Le système économique, incapable de pallier leur absence, s'écroule peu à peu dans un déclin inexorable et des catastrophes à n'en plus finir, le livre se terminant dans une ambiance proche de la Terreur révolutionnaire.
Ayn Rand est d'origine russe, et est donc marquée par la Révolution Russe de 1917. On pourrait presque dire que ce livre, et son œuvre, est la manière qu'elle a trouvée d'exorciser cette blessure créée par l'empire soviétique. Son livre est certes un roman, mais aussi un vibrant hommage à Aristote dont elle reprend les fondamentaux et la pensée, qu'elle tente de réhabiliter par rapport à la tyrannie des émotions et des affects.
Plusieurs choses à retenir dans cette oeuvre-monument
Tout d'abord, la tirade de l'un des personnages, Francisco, est clairement le manifeste le plus limpide et important que j'ai pu lire en faveur de l'argent et de la libre entreprise. Une mauvaise interprétation chrétienne croit que le Christ condamne l'argent avec le verset "Nul ne peut servir deux maitres". Mais Ayn Rand démontre bien que les seuls à qui ce verset peut s'appliquer ont une estime catastrophique d'eux-mêmes, transformant l'argent, non en moyen ou outil de reconnaissance du travail accompli, mais en un objectif à part entière leur permettant de se donner une raison de vivre. Ce qui est tout sauf la marque d'un esprit libre.
Par conséquent, il faut avoir du respect pour l'argent. Pas pour lui-même, bien sûr, mais pour la quantité de travail qu'il représente, pour ce qu'un individu a accepté de faire pour le gagner, pour l'engagement personnel impliqué par cette somme gagnée. D'où le respect de la transaction et du commerce, ce pacte entre le meilleur de deux hommes. On le sait déjà plus ou moins, mais ça fait quand même un bien fou, surtout en France par les temps qui courent, de le lire. Ce livre rappelle que ceux qui travaillent beaucoup peuvent devenir des véritables vaches à lait de ceux qui travaillent moins, si jamais ils les laissent faire. Il y a des victimes consentantes à leur sort, la culpabilité leur tenant lieu de guide.
Ayn Rand souligne également l'importance du but, du sens dans la vie d'un individu. On sent qu'elle a travaillé sur le plan psychologique, ce livre dénotant une claire connaissance des mécanismes inconscients, l'un de ses compagnons ayant été psychothérapeute. Mais elle a tout à fait raison, donner du sens, élargir l'étroitesse d'une vie dans laquelle elle s'est coincée permet d'insuffler et de redonner à l'individu une énergie, une volonté impossible à trouver ailleurs. Et c'est la pensée rationnelle qui contribue à ce changement majeur. Une phrase est d'ailleurs particulièrement marquante : "Il n'y a pas de pensées diaboliques, il n'y a que le refus de réfléchir qui le soit." D'une certaine façon, elle a raison, et l'Eglise est d'accord avec, puisque la libre-pensée est la marque de l'esprit autonome et responsable.
Quelques critiques tout de même :
Ayn Rand ne parle pas des situations nombreuses où la première innovation ne fonctionne pas. Elle a là une vision très américaine des choses alors que ce sont rarement les premiers inventeurs qui tirent parti du fruit de leur invention. La capacité de vendre un produit innovant est toute aussi importante que celle de savoir le créer. Elle dénonce cet état de fait par les pillards en tout genre tentant de voler les meilleures idées, mais cela est quelque peu simpliste, le travail ne suffit pas, savoir le vendre est également tout un art.
Elle met en œuvre le rêve propre à toutes les minorités, l'illusion de ce paradis, de cette ville où les choses seraient organisées comme on le souhaite. Le personnage principal refuse justement cette solution de facilité, ne veut pas rentrer dans ce refus de la société (proprement odieuse dans le roman, reconnaissons-le) mais sur un plan plus réel, moins littéraire, cette vision n'est rien d'autre, évidemment, qu'un joli fantasme. La seule équivalence possible serait aujourd'hui l'expatriation.
Manque aussi la spiritualité, remplacée par l'idéal du travail et par le sens qu'un homme donne à sa vie. Si elle a raison de marquer l'importance du sens, Ayn Rand oublie de souligner que le travail peut difficilement soutenir l'humain dans ses aspirations les plus hautes. Elle nie l'idée que l'individu ait besoin d'autre chose. Ayn Rand croit au sens de la vie, croit à la supériorité de la raison. Pour autant, elle affiche une méconnaissance ou une vision datée (elle écrit dans les années 50) de la foi qui JAMAIS ne se substitue à la raison, c'est peut-être là l'erreur principale qu'elle commet. Bien sûr, elle ne cherche peut être pas tant à frapper l'Eglise que le communisme. Mais ses remarques et diatribes violentes contre les mystiques tombent complétement à côté dans une vision chrétienne. Elle ne comprend visiblement pas ce qu'est la foi, malgré une fin très christique.
Enfin, elle a du mal à tenir compte que chaque humain est blessé. Qu'il faut faire quelque chose pour cela aussi. Ayn Rand considère que c'est dans le travail que l'homme trouve sa noblesse, que c'est dans la lutte pour sortir de sa blessure que l'homme trouve sa dignité. Elle a sur ce sujet, à la fois raison et tort, raison car la véritable différence entre individus étant leur réaction par rapport à la blessure, tort car il y a des blessures qui peuvent abattre à tout jamais un individu.
Je m'arrête là, je pourrais continuer longtemps, mais je trouve que ce livre est un vrai bol d'air pour les gens qui considèrent que travailler, dominer la Terre et l'exploiter n'est pas condamnable et quelque chose dont il faudrait demander pardon.
A lire, donc, si vous souhaitez comprendre et percevoir le capitalisme différemment.
PS : Je ne suis pas mort, ce blog non plus, ou tout du moins, pas complètement. Pour ceux qui sont sur Twitter, vous pouvez me retrouver à l'adresse suivante : https://twitter.com/Polydamas
Pour les autres, sachez qu'en plus de mon travail, j'entame de nouvelles études pour changer, in fine, de métier, donc vous comprendrez que je ne sois plus trop présent ici-même.