Ces hommes-là
Publié le 20 Septembre 2010
Dimanche soir. Après la messe. L'idée m'était venue pendant celle-ci d'aller le voir ensuite.
Dans le grand hall, des jeunes catholiques que je connais sont en train d'acheter leur place. Je les dépasse, envie de regarder ce film seul. De le laisser résonner en moi. Je m'installe dans la salle. Tiens, deux vieilles connaissances d'école au loin. Un prêtre s'assis dans la rangée précédant la mienne. Des cathos, reconnaissables entre mille se joignent à nous. Les gens affluent.
Le film commence. Des Hommes et des Dieux. L'histoire des moines de Tibehirine.
A priori plus que positif, le Petit Lieutenant, le film précédent du réalisateur m'avait touché, ce n'était pas un polar français comme les autres, il était beaucoup plus empreint d'émotion et de réalisme. C'était une réussite.
Disons-le, j'ai beaucoup aimé ce film. Notamment parce qu'il réveille et fait allusion à ce j'ai pu y lire de ma propre vie, et de mes choix, que pour le film en lui-même.
Lambert Wilson affirme dans un entretien que son rôle du Frère Christian de Chergé peut couronner la carrière d'un acteur. Je suis bien d'accord avec lui, mais pour parfaitement le jouer, il aurait fallu cette étincelle dans le regard, cette paix intérieure, cette preuve de l'homme habité. Ce qu'il n'a malheureusement pas, il lui aurait fallu au minimum six mois de prière et de recueillement pour y parvenir. Pour ceux qui ne comprendraient pas à quoi je fais référence, il suffit de le comparer aux yeux rieurs de cette photo ou de regarder cette émission avec le père abbé du Barroux (à partir de la 8e minute) où l'on voit clairement que certains humains ne sont plus tout à fait de notre monde. On retrouve en partie cette clarté du regard chez Frère Luc (inoubliable Michael Lonsdale) et chez Frère Amédée, dont la simplicité et la joie illuminent le film (magnifique scène du massage).
Or Lambert Wilson, malgré tous ses efforts, n'a pas ce regard posé. Je suis le dernier à pouvoir jauger du jeu d'un acteur, mais son jeu est, me semble-t-il, encore trop vibrionnant, à la fois trop torturé et trop affirmé, notamment face aux terroristes. Seule satisfaction, sa lecture d'un texte sur l'incarnation, rappelant cet appel à la simplicité, et à la redécouverte de ce que nous portons du Christ en chacun de nous. Lecture qui m'a évoqué mon livre du moment, ouvrage que je vous enjoins à vous procurer pour bien comprendre la temporalité des moines.
Cette temporalité, la seule qui vaille, c'est l'éternité. La volonté de vivre l'éternité ici-bas nécessite en chaque moment de retrouver l'essentiel, de se laisser dépouiller par le Christ, de retirer les couches d'égoïsme, de s'abandonner totalement, intégralement et en toutes choses. De trouver Dieu dans les actes les plus banals de la vie quotidienne. De comprendre que l'on n'a le contrôle sur rien, mais que dans le même temps, Dieu ne peut rien faire sans nous. Et donc d'être totalement présent, totalement impliqué. Ainsi, de manière paradoxale, le détachement complet se caractérise par une nouvelle implication, une présence totale dans notre devoir d'état. Chercher et servir Dieu signifie être tout entier investi dans notre devoir d'état, dans ce qu'Il nous appelle à réaliser et à faire à cet instant précis, le résultat important peu. Ce que l'on retrouve dans le film via les tâches quotidiennes, répétitives et banales des moines.
Je pourrais polémiquer sur le manque de volonté de conversion des villageois, sur l'oecuménisme qui oblige ces frères à assister à une cérémonie musulmane, mais il me semble que ce serait vain, futile, et tout simplement idiot. Car l'essentiel dans le film n'est pas là.
L'essentiel, c'est l'abandon à Dieu.
Faisant face en ce moment à des choix importants qui conditionnent ce que j'ai de plus précieux, ce film m'a violemment ramené à ma propre vie. L'abandon de ces moines face à la mort fait ressortir par contraste mon inaptitude à me laisser porter, ma propre incapacité à m'abandonner à la grâce divine, à ne pas laisser Dieu mettre en oeuvre ce qu'Il veut pour moi. C'est pourquoi je dois être le seul dans la salle a avoir raté la scène du dernier repas, vu que j'étais effondré en larmes. Le catalyseur en a été évidemment le Lac des Cygnes, moment certes un peu convenu (quoi que le cliché a aussi sa part de vérité), mais qui montre bien la sérénité et la joie, conséquences du don librement consenti, et réalisé en plénitude. A fortiori, si l'on est en ce moment en train de franchir des épreuves qui vous ramènent à des choix de même nature, il est difficile de rester de marbre. Et de ne pas y voir un appel pour notre propre vie.
L'appel de la Croix.