Des prénoms révélateurs...

Publié le 16 Avril 2007

Article qui parle de lui-même...

Ce prénom, ce n'est pas moi !

A les voir entrer le pas un peu hésitant, la tête enfoncée dans les épaules, on se dit que ça doit cogner fort, au-dedans. Ce matin-là, ils sont une bonne vingtaine à attendre de se faire opérer d'une partie d'eux-mêmes. Ablation du prénom, sont-ils venus demander. Cela n'a l'air de rien, dit ainsi, mais c'est parfois tout un pan de leur vie qu'ils voudraient qu'on leur enlève ou qu'on leur recolle, c'est selon.



Une fois par mois, au quatrième étage du Palais de justice de Paris, service des affaires familiales, ces patients d'un genre particulier sont convoqués devant le juge pour soutenir leur demande de modification d'état civil. Flanquée à sa gauche de sa greffière et à sa droite d'un représentant du parquet, la juge Anne-Marie Lemarinier ne retient pour l'audience que les cas qui lui posent une difficulté particulière ou qui ont reçu un avis défavorable du parquet, soit environ la moitié des demandes déposées sur son bureau.

Depuis deux ans qu'elle exerce ces fonctions à Paris, Anne-Marie Lemarinier en a beaucoup vu et entendu. Elle sait que, sous l'apparente légèreté ou les arguments trop rationnels avec lesquels certains sollicitent la justice pour changer de prénom, sourdent bien souvent des raisons douloureuses. Mais, observe-t-elle, "je suis juge, je ne suis pas psychologue ou psychanalyste, même si parfois, notre travail y ressemble". Ce vendredi, c'est avec Yvette que s'ouvre l'audience. Un dossier plutôt simple. Depuis qu'elle est toute petite, raconte Yvette, une quarantaine d'années, tout le monde l'appelle Eva.

"Même mes diplômes sont à ce prénom-là", dit-elle. Mais le prénom Yvette figure obstinément sur ses papiers d'identité depuis que ses parents ont consenti à l'exigence de l'arrière-grand-mère paternelle qui voulait à tout prix transmettre quelque chose d'elle à l'enfant. Maintenant que l'aïeule est morte, Yvette aimerait bien pouvoir enterrer aussi son prénom et disposer enfin librement de son état civil. Elle accepte la suggestion de la juge d'accoler les deux prénoms plutôt que de supprimer le premier et quitte l'audience rassurée.

Dossier suivant. Entre Mohammed, un beau jeune homme aux cheveux noirs lissés, qui porte un diamant à chaque oreille. Son avocat explique : "Mon client exerce comme modèle chez un couturier, et dans ce milieu, il n'est connu que sous le prénom de Tony, qu'il souhaiterait voir officialiser." Le jeune homme confirme : "J'ai commencé à faire des photos à l'âge de 13-14 ans. C'est mon manager qui m'a donné le prénom de Tony, et depuis, je ne porte que celui-là." "Vos parents ont-ils accepté ?, s'enquiert la magistrate.

- Je ne connais pas ma mère, mais mon père est d'accord, assure-t-il.

- Ce serait bien que vous nous apportiez une attestation de sa part, observe Mme Lemarinier.

- Disons que je suis un peu en rupture, souffle-t-il.

- C'est important pour vous, monsieur, de ménager votre famille, lui dit la juge.

- Mais je ne vis plus avec elle !, s'exclame-t-il.

- Oui, mais on ne choisit pas soi-même son prénom, ce sont les règles de l'état civil. Et vous savez, la vie est longue..."

Le cas d'Abdelmalik est plus classique. "Je suis en recherche d'emploi, explique-t-il. Quand j'énonce mon prénom, je ne suis pas recruté. Pareil quand je cherche un appartement. Alors que quand je dis Noham, ça marche." D'une voix un peu gênée, la représentante du parquet lui demande s'il est de "religion musulmane". Réponse affirmative. "Parce que pour moi, poursuit-elle, Noham, c'est hébreu.

- Ah non, dit-il en souriant, c'est les deux, je vous assure ! J'ai un cousin qui s'appelle Noham."

Mme Lemarinier les connaît bien, ces dossiers de Français de plus ou moins lointaine ascendance étrangère pour lesquels un prénom musulman est un frein à l'intégration. Plusieurs dizaines de fois par an, elle entend les mêmes récits de refus d'embauche ou de location d'appartement quand on se prénomme Mohammed, Abdel ou Tarek, et les obstacles qui se lèvent dès que l'on dit Fred ou Paul.

Faute de pouvoir garantir à chacun l'égalité d'accès à la société française, le droit pose des rustines. Il reconnaît comme "intérêt légitime" à changer de prénom celui du "désir d'assimilation", ce qui est tout de même plus pudique que d'admettre l'échec de l'intégration.

Mais depuis quelque temps, une nouvelle catégorie de solliciteurs apparaît avec régularité dans les dossiers de Mme Lemarinier. Nadine est de ceux-là. Regard inquiet, visage triste, cette universitaire en droit fiscal veut retrouver son prénom originel de Zoubida. Il y a vingt-sept ans, elle a claqué la porte de son pays natal, l'Algérie, et celle de sa famille "très traditionnelle", dit-elle.

Elle a poursuivi des études en France, travaillé et a poussé son désir d'intégration jusqu'à demander à s'appeler Nadine lors de sa naturalisation.

Sa famille n'en a jamais rien su. "Aujourd'hui, je ressens le besoin de retrouver mes racines. Je vis ce changement de prénom comme une culpabilité par rapport à elle", explique-t-elle, émue. La voix de la magistrate tombe, abrupte : "Madame, je peux concevoir votre démarche identitaire mais le droit ne peut pas s'adapter en permanence à des états d'âme."

Elle lui demande si elle serait prête à accepter le compromis de l'adjonction de Zoubida, plutôt que la suppression de Nadine. Un "non" farouche lui répond. La présidente insiste : "C'est vous qui avez demandé la naturalisation, il faut l'assumer.

- Je vous supplie de me rendre mon prénom !", lui lance Nadine.

Son avocat prend le relais de la magistrate pour tenter de convaincre sa cliente. A contrecoeur, elle accepte.

En sortant, elle croise Louis, d'origine algérienne lui aussi. Comme elle, il est venu demander à la justice le droit de retrouver son prénom d'origine, Miloud. C'est sa femme, une Française de religion chrétienne, qui avait fait les démarches pour lui - il ne sait ni lire, ni écrire - lors de la procédure de naturalisation, assure-t-il.

Son avocate explique : "Ce prénom de Louis lui pose des problèmes avec sa religion. Il ne peut pas faire le pèlerinage à La Mecque et se voit refuser le droit d'être enterré dans le carré musulman." Là encore, Anne-Marie Lemarinier propose l'adjonction. Louis hausse doucement les épaules. "Faites comme vous voulez, madame", soupire-t-il. Après lui, il y aura encore Alexandre Karim, un garçon tout juste majeur qui ne supporte plus son premier prénom.

En grattant un peu, la juge comprend que le jeune homme, né d'une mère tunisienne et d'un père français mort prématurément, a été complètement rejeté par la famille de celui-ci. Il est très proche de sa mère et s'est converti à l'islam.

Une fois de plus, Mme Lemarinier suggère une solution de compromis, qui lui laisserait le choix de l'ordre de ses prénoms. "Un prénom, c'est important. C'est votre père qui l'a choisi, il ne faut peut-être pas l'effacer complètement", dit-elle, en ajoutant : "Vous êtes jeune, monsieur. Peut-être que lorsque vous chercherez du travail, ce sera plus facile avec Alexandre..."

Les derniers à venir s'asseoir de l'autre côté de la table sont un couple d'origine turque naturalisé depuis un an. Pierre et Marie veulent redevenir Kamel et Leïla et rendre leurs prénoms d'origine à leurs enfants Jacques et Sandrine. Mme Lemarinier s'agace. "On ne change pas de prénom comme de robe ! Pour vous, cela fait à peine un an. Et rien ne vous y obligeait", relève-t-elle. "C'est l'officier de l'état civil qui leur a conseillé de prendre ces prénoms pour accélérer leur dossier de naturalisation", plaide leur avocat. La procureure émet un avis absolument défavorable. La mère insiste. "Dans leur école, nos enfants se sentent isolés avec ces prénoms français par rapport aux autres", se lamente-t-elle.

En 2004, se souvient Mme Lemarinier, saisie par le parquet sur le signalement d'un officier de l'état civil, elle avait convaincu des parents de changer les deux prénoms que ceux-ci venaient de donner à leur nouveau-né. Ils étaient d'origine étrangère et sans doute avaient-ils un désir farouche de s'intégrer. Le petit garçon se prénommait Jhospin Delors. La juge les a convaincus que ce ne serait vraiment pas facile à porter.
Pascale Robert-Diard

Rédigé par Polydamas

Publié dans #Société

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H
J'ai vu...Mon vote est reste du domaine de l'intention... J'ai fait une procuration (papa...) mais comme je suis aussi inscrite a l'ambassade, pour les presidentielles je ne pouvais voter qu'a Manille... Ce qui fait un peu cher le vote donc... encore un rate! Je ne sais pas le bruit que font les elections en France mais alors dans ma jungle philippine je suis assez preservee!! (deja qu'on me demande quel etat des USA est la France...)
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H
Et a quand l'apposition de Polydamas a ton nom???;-)Bon c'est sur que ca risque de faire un peu long... mais tu n'es plus a ca pret!
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P
Ce n'est pas encore prévu pour le moment.Au fait, tu as vu que j'ai une discussion animée avec Pierre, sur le vote catholique ?
L
Polydamas : détrompez vous, j'avais déjà lu votre billet sur l'heure du choix. je n'avais d'ailleurs pas entendu parler de certaines de ces affaires. malheureusement je crains qu'à trop utiliser la loupe grossissante on se condamne ... à rejetter tous les candidats <br /> Olivier : je suis tout à fait sur la même analyse. la présence de NS au second tour est assurée à mon avis, ce qui laisse une plus grande liberté<br />  
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P
OK, toutes mes excuses...
O
Tout de même, Conservateur, vous pouvez enlever Sarkozy de votre liste (à moins que celle-ci ne soit plus surprenante que ce que j'envisage) : il sera au second tour ! Je veux bien que les sondages se trompent et nous trompent, mais il caracole tout de même à près de 30 % de façon assez stable... C'est derrière que l'indécision est totale...
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L
édifiant en effet ... pour la première fois, les immigrés ne changent pas leur nom pour s'intégrer ... c'est très révélateur<br /> vous m'avez demandé pour qui je voterais ... et bien j'hésite encore. Ma short list comprend trois personnes.J'ai évidemment une préférence mais il y a ensuite des considérations pragmatiques ... et vous ?
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P
Pour moi, la décision a été prise et expliquée dans le billet sobrement intitulé, l'heure du choix. Je vous conseillerai, pour vous aider à choisir, de vous reporter à la discussion animée que j'ai eu avec un de mes lecteurs.  On pourra y trouver des éléments pertinents du débat.C'est pas bien, je vois que vous ne suivez pas mon blog. ;-)