Sicard est-il un hypocrite ou un imbécile?

Publié le 3 Février 2007


Didier Sicard, que j'ai évoqué ici, donne une interview alarmiste au Monde, titrée trés justement "La France au risque de l'eugénisme".

Il n'y a pas grand-chose à rajouter, pour le catholique que je suis, à ce propos dont je vous propose quelques extraits:

Je suis profondément inquiet devant le caractère systématique des dépistages, devant un système de pensée unique, devant le fait que tout ceci soit désormais considéré comme un acquis. Cette évolution et cette radicalité me posent problème. Comment défendre un droit à l'inexistence ? J'ajoute que le dépistage réduit la personne à une caractéristique. C'est ainsi que certains souhaitent que l'on dépiste systématiquement la maladie de Marfan dont souffraient notamment le président Lincoln et Mendelssohn. Aujourd'hui, Mozart, parce qu'il souffrait probablement de la maladie de Gilles de la Tourette, Einstein et son cerveau hypertrophié à gauche, Petrucciani par sa maladie osseuse, seraient considérés comme des déviants indignes de vivre.


Nous donnons sans arrêt, avec une extraordinaire naïveté, une caution scientifique à ce qui au fond nous dérange. Et nous ne sommes pas très loin des impasses dans lesquelles on a commencé à s'engager à la fin du XIXe siècle pour faire dire à la science qui pouvait vivre et qui ne devait pas vivre. Or l'histoire a amplement montré où pouvaient conduire les entreprises d'exclusion des groupes humains de la cité sur des critères culturels, biologiques, ethniques.

Croire que la médecine, grâce à la technique, va vous dire votre vérité est à la fois paralysant et simpliste. La confusion n'a jamais été aussi grande entre transparence et vérité.

Le meilleur argumentaire pro-life ne dirait rien d'autre.

La thérapeutique n'a pas ici grand-chose à voir avec le dépistage. La vérité centrale est que l'essentiel de l'activité de dépistage prénatal vise à la suppression et non pas au traitement. Ainsi, ce dépistage renvoie à une perspective terrifiante : celle de l'éradication. Et ceci est peut-être plus vrai en France que dans d'autres pays.

Pourquoi la France est elle plus exposée? Sicard l'explique:

Trois points me semblent particulièrement importants. Le premier est que ces dépistages sont idéologiquement perçus comme un progrès des acquis scientifiques, des Lumières, de la Raison. Et la France a une très grande confiance vis-à-vis de ces acquis, une confiance beaucoup plus grande que d'autres cultures. Le deuxième point est la très grande accessibilité à ces techniques de dépistage. Le troisième est en quelque sorte la conséquence des deux premiers : c'est l'effrayant déficit dans l'accueil des personnes handicapées. Or il faut savoir qu'en Allemagne et dans certains pays nordiques cet accueil est tel que le dépistage n'est pas perçu de la même manière qu'en France, c'est-à-dire comme un empêchement à naître.

Disons que l'obsession du dépistage à laquelle nous assistons a beaucoup à voir avec une idéologie rendue possible par la technique. Ce qui est intéressant ici est le rapport entre la science et la politique. Ces deux entités ont besoin l'une de l'autre. Or la politique, qui finance la science, est terriblement influençable par le discours scientifique qui lui offre une sorte de caution, de raison d'agir. Et il y a toujours un moment où la politique prend la science au mot pour transformer la société au motif que "la science dit le vrai". Je mets bien évidemment à part certains dépistages à la naissance, comme celui de l'hypothyroïdie, qui permettent la mise en place d'un traitement efficace par voie alimentaire. Mais, je le répète, dans la très grande majorité des cas, le dépistage prénatal n'est pas destiné à traiter mais bien à supprimer.

Rien de plus à ajouter sur les dérives et les tentations qui guettent nos politiques. Et il continue vigoureusement, avec des remarques tout à fait pertinentes, qui montrent quelles peuvent être les souffrances endurées par ces familles, que notre société culpabilise en leur reprochant de ne pas avoir avorté.

Dans une société idéale on pourrait imaginer que des parents informés puissent décider qu'ils ne peuvent pas accepter la naissance d'un enfant atteint de telle ou telle affection grave. Je ne suis pas certain que ce soit à la société d'intervenir dans le choix de ces parents. Et il me paraît hautement préoccupant que l'on passe d'un dépistage généralisé à une forme d'éradication sociale.

Le cas des trisomies 21 et 18 en est un exemple paradigmatique. Tout s'est passé comme si à un moment donné la science avait cédé à la société le droit d'établir que la venue au monde de certains enfants était devenue collectivement non souhaitée, non souhaitable. Et les parents qui désireraient la naissance de ces enfants doivent, outre la souffrance associée à ce handicap, s'exposer au regard de la communauté et à une forme de cruauté sociale née du fait qu'ils n'ont pas accepté la proposition faite par la science et entérinée par la loi.

En France la généralisation du dépistage est, certes, fondée sur la notion de proposition, mais dans la pratique il est, de fait, devenu quasi obligatoire. Le dépistage de la trisomie concerne désormais en France, gratuitement, la quasi-totalité des grossesses. Osons le dire : la France construit pas à pas une politique de santé qui flirte de plus en plus avec l'eugénisme.

Je rappelle que c'est le président du Comité consultatif national d'éthique (CCNE), ancien chef du service de médecine interne à l'hôpital Cochin, qui s'exprime, non pas un président d'une obscure association pro-vie.

Rien n'est à ajouter ou à retrancher à ce discours de bon-sens, qui pointent les dérives modernes. Mais pourtant qu'est ce que Didier Sicard ajoute, lorsqu'il s'agit de s'engager, notamment, aux côtés de l'Eglise Catholique?

Il ne s'agit pas là du même combat. Il ne faut pas, me semble-t-il, se placer en termes de défense de l'embryon, en termes de spiritualité. Qu'observons-nous ? Il y a d'un côté la plupart des scientifiques, de l'autre ceux qui placent au premier plan la religion. Ces deux camps sont propriétaires, dépositaires d'un territoire sur lequel ils sont arc-boutés. Pour ma part, je pense qu'il vaut mieux poser la question de savoir ce que nous voulons pour nous-mêmes comme société humaine nous permettant de nous respecter. Comment allons-nous nous percevoir si nous excluons d'emblée et de manière quasi systématique de la vie tel ou tel ? Comment la prégnance du regard social ne pourrait-elle pas l'emporter sur la liberté individuelle ?

Ce cher monsieur, bien qu'il tienne par ailleurs, un propos des plus sensés, n'a rien compris au discours de l'Eglise, que j'ai trés rarement entendu placé dans le champ de la spiritualité, comme le prouve cet article de Liberté Politique. L'Eglise s'est toujours exprimé sur ce sujet avec les arguments qui sont les mêmes que celui du président du CCNE, l'accuser de mettre la religion au premier plan est donc un discours des plus fallacieux. J'ai l'impression qu'il ne fait que projeter sur l'Eglise tous ses préjugés, préjugé qui mériteraient d'être actualisés.

Ou alors, cette posture ne sert qu'à dénoncer cette situation, sans qu'il envisage un seul instant de transformer ses paroles en actions concrètes, ce qui serait alors de l'hypocrisie la plus totale...

Donc au lieu de critiquer la position de l'Eglise, s'il envisageait de joindre toutes les forces en présence, contre cette idéologie mortifère, cela aurait peut-être plus d'efficacité que n'importe quelle interview au Monde...

Rédigé par Polydamas

Publié dans #Société

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D
Autrefois on décrivait l'eugénisme comme un exemple de l'esprit foncièrement abject du nazisme, ce que nul ne conteste, sauf que les idées sur l'eugénisme sont très répandues dans la société française d'aujourd'hui. C'est à ne plus rien comprendre.
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P
Puisqu'il faut espérer, je me réjouis de ces propos que je partage à 90 %.<br /> Reste à savoir ce que nous pouvons faire, en plus de notre travail de blogueurs de la vie !<br /> Merci en tout cas pour l'info, je ne lis que rarement le Monde (qui a cependant, soyons honnêtes, un peu progressé ces derniers mois autant que je puisse en juger).
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D
Merci pour votre brillant commentaire du Pr.  Sicard.Toutefois, je suis moins optimiste que vous. Ce Monsieur a des préjugés bien ancrés, il a une philosophie qu'il compte bien imposer. Il est exact que cette philosophie est fondée sur des a priori, des préjugés que l'on peut, entre nous, qualifier de sectaires.Cela dit l'analyse de Sicard sur la confusion entre la technique, la science expérimentale d'une part et la morale d'autre part, laquelle fonde plusieurs paralogismes reste intéressante, quoique manquant de clarté et de fermeté, faute certainement d'instruments culturels.
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A
Il se déroule bien pire en Belgique. Un très bon article de RH :http://chacun-pour-soi.blogspot.com/2007/02/la-thanatocratie-est-en-marche.html
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A
Et il n'y a pas qu'en France que l'eugénisme est en marche. Très bon article de RH :http://chacun-pour-soi.blogspot.com/2007/02/la-thanatocratie-est-en-marche.html
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