"In principio erat Verbum"

Publié le 15 Septembre 2008

"In principio erat verbum
Et Verbum erat apud Deum et Deus erat Verbum"

Jean 1, 1.

"Au commencement était le Verbe,
et le Verbe était auprès de Dieu, et le verbe était Dieu."


C'est par ces mots que Benoit XVI a dédicacé le livre d'or de l'Institut de France. Mots qui entament le dernier évangile, dans le rit tridentin, dont je vous invite à parcourir une version commentée ici.

Pourquoi est-ce important ? Le pape en donne justement l'explication dans son discours à la culture au collège des Bernardins, qu'il faut lire et relire. Ce texte reprend les fondamentaux de la relation entre foi et raison, point par point, de façon excessivement claire. C'est un cours sur les origines de l'Europe, sur les relations entre la foi et la raison, bref, sur les racines de la culture, à nul autre pareil.

Il souligne ce que tout homme cultivé sait parfaitement, l'Europe doit tout à la chrétienté, et aux moines qui l'ont construite, défrichée, spirituellement et matériellement. Leur foi était le principe premier, leur volonté de chercher Dieu était leur seul but. Leur premier objectif fut donc de travailler sur les Ecritures afin de défricher le sens de celles-ci. Ce qui impose un travail sur le texte lui-même.

Cette voie était sa Parole qui, dans les livres des Saintes Écritures, était offerte aux hommes. La recherche de Dieu requiert donc, intrinsèquement, une culture de la parole, ou, comme le disait Dom Jean Leclercq : eschatologie (ici en tant que recherche du principe premier et non pas des fins dernières) et grammaire sont dans le monachisme occidental indissociables l’une de l’autre. Le désir de Dieu comprend l’amour des lettres, l’amour de la parole, son exploration dans toutes ses dimensions.


D'autant que, comme le rappelle Rodney Stark, dans le Triomphe du Christianisme, à la différence des autres religions, le christianisme ne considère pas disposer de la parole de Dieu stricto sensu, celle-ci n'est que recueillie grace à des témoins. Ce qui veut dire que l'on peut réfléchir, discuter, interpréter ce qu'ont voulu signifier ces témoins. Elément que Benoit XVI ne manque pas de préciser.


C’est pourquoi le Catéchisme de l'Eglise catholique peut affirmer avec raison que le christianisme n’est pas au sens classique seulement une religion du livre (cf. n. 108). Le christianisme perçoit dans les paroles la Parole, le Logos lui-même, qui déploie son mystère à travers cette multiplicité. Cette structure particulière de la Bible est un défi toujours nouveau posé à chaque génération. Selon sa nature, elle exclut tout ce qu’on appelle aujourd’hui « fondamentalisme ». La Parole de Dieu, en effet, n’est jamais simplement présente dans la seule littéralité du texte. Pour l’atteindre, il faut un dépassement et un processus de compréhension qui se laisse guider par le mouvement intérieur de l’ensemble des textes et, à partir de là, doit devenir également un processus vital.


Nous pouvons exprimer tout cela d’une manière plus simple : l’Écriture a besoin de l’interprétation, et elle a besoin de la communauté où elle s’est formée et où elle est vécue. En elle seulement, elle a son unité et, en elle, se révèle le sens qui  unifie le tout. Dit sous une autre forme : il existe des dimensions du sens de la Parole et des paroles qui se découvrent uniquement dans la communion vécue de cette Parole qui crée l’histoire.


Ainsi l'évolution de l'histoire, de la science, permet toujours de trouver de nouveaux aspects, de nouveaux éclairages des Ecritures. Les avancées de la philosophie, de la théologie, permettent sans cesse d'approfondir, encore et toujours. Cette confiance dans la raison, dans la capacité interprétative des hommes est confirmée par St Paul:


Il a exprimé de manière radicale ce que signifie le dépassement de la lettre et sa compréhension holistique, dans la phrase : « La lettre tue, mais l’Esprit donne la vie » (2 Co 3, 6). Et encore : « Là où est l’Esprit…, là est la liberté » (2 Co 3, 17). Toutefois, la grandeur et l’ampleur de cette perception de la Parole biblique ne peut se comprendre que si l’on écoute saint Paul jusqu’au bout, en apprenant que cet Esprit libérateur a un nom et que, de ce fait, la liberté a une mesure intérieure : « Le Seigneur, c’est l’Esprit, et là où l’Esprit du Seigneur est présent, là est la liberté » (2 Co 3, 17).

L’Esprit qui rend libre ne se laisse pas réduire à l’idée ou à la vision personnelle de celui qui interprète. L’Esprit est Christ, et le Christ est le Seigneur qui nous montre le chemin. Avec cette parole sur l’Esprit et sur la liberté, un vaste horizon s’ouvre, mais en même temps, une limite claire est mise à l’arbitraire et à la subjectivité, limite qui oblige fortement l’individu tout comme la communauté et noue un lien supérieur à celui de la lettre du texte : le lien de l’intelligence et de l’amour. Cette tension entre le lien et la liberté, qui va bien au-delà du problème littéraire de l’interprétation de l’Écriture, a déterminé aussi la pensée et l’oeuvre du monachisme et a profondément modelé la culture occidentale. Cette tension se présente à nouveau à notre génération comme un défi face aux deux pôles que sont, d’un côté, l’arbitraire subjectif, de l’autre, le fanatisme fondamentaliste.



Le pape rajoute un élément supplémentaire en rappelant que la raison ne peut s'exercer qu'à la lumière de la foi, elle ne peut être centrée sur elle-même, la contrainte de l'amour imposant d'éliminer toutes les constructions trop détachées des réalités de ce monde, trop égocentriques. Ce qui permet de comprendre l'hostilité permanente de l'Eglise envers la stratégie de la "table rase".


Si la culture européenne d’aujourd’hui comprenait désormais la liberté comme l’absence totale de liens, cela serait fatal et favoriserait inévitablement le fanatisme et l’arbitraire. L’absence de liens et l’arbitraire ne sont pas la liberté, mais sa destruction.


Et ce lien de l'amour est l'éclairage qui doit guider notre action.
"Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimé."
"Science sans conscience n'est que ruine de l'âme."
Les formules rappelant ce principe sont nombreuses. L'abondance des rappels de la nécessité de l'amour montre tout le danger qu'il y a à refuser tout lien toute contrainte, toute attache. La liberté pure aboutit au non-sens, l'être ne peut chercher en lui-même sa propre justification. Oublier le facteur humain dans le pur raisonnement intellectuel revient à en faire la portion congrue, à faire de l'humain un simple élément que l'on peut modifier à loisir. Raisonnement dont le XXe siècle a pu constater l'effet, en millions de morts.

En passant, Benoit XVI fait également un rappel de l'importance du chant dans la culture catholique, en rappelant la participation des chanteurs aux choeurs angéliques:

Sous ce jour, la Liturgie chrétienne est une invitation à chanter avec les anges et à donner à la parole
sa plus haute fonction.
(...)
Pour saint Benoît, la règle déterminante de la prière et du chant des moines est la parole du Psaume : Coram angelis psallam Tibi, Domine – en présence des anges, je veux te chanter, Seigneur  (cf. 138, 1). Se trouve ici exprimée la conscience de chanter, dans la prière communautaire, en présence de toute la cour céleste, et donc d’être soumis à la mesure suprême : prier et chanter pour s’unir à la musique des esprits sublimes qui étaient considérés comme les auteurs de l’harmonie du cosmos, de la musique des sphères. les moines, par leurs prières et leurs chants, doivent correspondre à la grandeur de la Parole qui leur est confiée, à son impératif de réelle beauté. Il indique ici que la culture du chant est une culture de l’être et que les moines, par leurs prières et leurs chants, doivent correspondre à la grandeur de la Parole qui leur est confiée, à son impératif de réelle beauté. De cette exigence capitale de parler avec Dieu et de Le chanter avec les mots qu’Il a Lui-même donnés, est née la grande musique occidentale.


Propos à rapprocher de la phrase célèbre de St Augustin pour lequel  « Qui bien chante, deux fois prie » ou en moins solennel : "Chanter, c'est prier deux fois".

Enfin, Benoit XVI arrive à la seconde partie de la célèbre sentence bénédictine Ora et Labora (Oraison et Labeur). A l'inverse des Grecs qui considéraient qu'un Dieu immanent ne pouvait se salir les mains à travailler la matière, les chrétiens estiment que le travail est voulu par Dieu.

C’est ainsi que le travail des hommes devait apparaître comme une expression particulière de leur ressemblance avec Dieu qui rend l’homme participant à l’oeuvre créatrice de Dieu dans le monde. Sans cette culture du travail qui, avec la culture de la parole, constitue le monachisme, le développement de l’Europe, son ethos et sa conception du monde sont impensables.


C'est donc à un salutaire rappel auquel se livre Benoit XVI, reprenant de manière extrêmement claire, ce que la culture, dans sa dimension musicale, littéraire, scientifique doit au christianisme. Héritage aujourd'hui renié par les pouvoirs politiques, et par le monde de la culture. Héritage que les musulmans, présents en nombre au collège des Bernardins feraient bien de faire leur, le Coran étant essentiellement prisonnier de la lettre.

Ainsi, dans les quelques mots introduisant l'Evangile de St Jean, le pape présente à l'Institut tout ce que la notion de la parole, du Logos, porte en germes et ses conséquences en Europe. La culture, la liturgie, la musique, le travail, l'enseignement, orientée vers la recherche de Dieu, tout cela fait partie de l'annonce de la bonne nouvelle, le mystère de l'Incarnation, du fondement de la foi, du Logos fait homme, rappelé également dans le dernier Evangile:

Et Verbum caro factum est. Et habitavit in nobis.

Et le Verbe s'est fait chair. Et il a habité parmi nous.


Rédigé par Polydamas

Publié dans #Religion

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B
Un bel exemple de laïcité ce que nous offre le petit Nicolas en ce moment. A titre de rappel, l'Eglise et l'état sont séparé depuis 1905 !
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P
<br /> Sans blague, j'étais pas au courant...<br /> <br /> Juste pour savoir, vous parlez de quoi ?<br /> <br /> <br />
A
@ Marchenoir: "Mais à moins que les dignitaires musulmans invités et présents dans la<br /> salle ne soient des cons finis (ce qui est parfaitement possible),<br /> leurs oreilles ont dû siffler très fort."Ce qui est plus que possible! Avez-vous écouté la réaction du professeur de mathématique avignonais? J'ignore si le message de BXVI a été entendu. Ce dont je suis persuadé en revanche, c'est qu'à l'évidence, il n'a pu l'être par tout le monde.Et bien entendu, il fallait y déceler une ciritique puissante et raffinée de l'islam. Un texte qui n'est pas marginal d'ailleurs. Souvenez-vous de Rastisbonne! Le monde (et en particulier la France et l'Europe) doit être innondé de Vérité. La vérité des textes et la vérité des faits. Mohammed était aliéné pour reprendre la rhétorique marxiste..ou névrosé pour parler viennois! De là, de sa pauvre condition misérable, a surgi un illuminé, un chef d'escadrons sanguinaire et un sacré manipulateur. Aussi génial que Bill Gates! Un peu moins riche je vous le concède!Merci d'avoir rédigé un texte aussi détaillé Poly. Je sais que cela prend du temps et que ce n'est pas toujours facile.  Mais il est important de continuer. Pour approfondir nos connaissances bien sur et pour en faire profiter le plus grand nombre. C'est ce que s'est efforcé de faire Benoit XVI je crois.A bientot.Arnaud
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M
....c'est curieux, l'énumération de Marchenoir il me semble bien que c'est exactement ce à quoi les chrétiens renoncent lors du baptême ...."et à ses oeuvres et à ses pompes" comme on disait avant Vatican II...
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R
Mad Jurist: et j'ajouterais que l'islam trimballe pas mal de trucs en trop dans ses valoches pouraves: l'apologie de la haine, de la violence, de la guerre, de l'esclavage, du viol, du pillage, du mensonge et de l'ignorance.Et encore, j'ai dû en oublier.
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M
...le terme "supériorité du christianisme" employé par Marchenoir me gêne un peu je dois dire...disons que Islam et Judaisme il leur manque quelque chose....deux mots latins : Incarnatus est.
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