La Nef et le libéralisme économique
Publié le 13 Juin 2008
Un article de Christophe Geoffroy dans la Nef fait la synthèse de ce que les catholiques reprochent au libéralisme. Autant je suis d'accord sur les premiers éléments de l'article concernant le libéralisme philosophique, autant je ne partage pas sa condamnation du libéralisme économique.
Extraits, après lesquels j'ai introduit mes réponses:
L’homo œconomicus
Ce libéralisme politique se conjugue avec le libéralisme économique dont le postulat fondamental est le miracle permanent du marché qui s’équilibre spontanément de façon optimum dès lors qu’aucune intervention ne l’entrave. C’est « la main invisible » d’Adam Smith qui règle les choses bien mieux que ne pourrait le faire l’État.
Ce libéralisme politique se conjugue avec le libéralisme économique dont le postulat fondamental est le miracle permanent du marché qui s’équilibre spontanément de façon optimum dès lors qu’aucune intervention ne l’entrave. C’est « la main invisible » d’Adam Smith qui règle les choses bien mieux que ne pourrait le faire l’État.
Christophe Geoffroy ne sait visiblement pas ce qu'est un marché avec sa composante primordiale, qui est l'information pour une répartition des biens qui soit la plus juste possible. Un marché est le mécanisme qui permet le mieux de synthétiser toute l'information disponible, ce dont un Etat ne sera jamais capable (la somme d'informations nécessaires pour répartir les besoins au mieux est trop considérable pour être gérée par un Etat). Donc, l'Etat manquant d'informations, il prendra des décisions arbitraires, et moins optimales que des acteurs plus proches du terrain, dont les règles ne dépendent pas de lois votées au parlement.
Mieux, l’homme est censé toujours rechercher son intérêt, mais cet égoïsme même – jugé neutre (c’est l’affaire de chacun) – concourt naturellement au bien général – ainsi est né l’homo
œconomicus, être rationnel mu par la seule recherche du profit. Le libéralisme fait aussi bien que Dieu : il sait tirer un bien d’un mal ! Bref, « pour la première fois dans l’histoire, voici une
conception déterministe et mécaniste de l’économie politique », écrit fort justement Daniel Villey (8).
On sait aujourd'hui que l'homme ne recherche pas toujours son intérêt et qu'il est parfaitement irrationnel dès qu'il touche à de l'argent. Le libéralisme, il me semble, ne tire pas un bien d'un mal, il fait en sorte de rendre la situation la moins mauvaise qui soit, et de laisser faire les hommes au plus près du terrain.
L’homme est ainsi l’objet des lois économiques qu’il ne peut que subir de façon inéluctable. «L'homme n'est pas maître de son destin et ne le sera jamais», écrit Hayek (9). Ce déterminisme
économique rend l’homme esclave d’un système qu’il ne peut maîtriser. Ainsi, la liberté si vantée par le libéralisme, qui lui permet de faire ce qu’il veut pour la conduite de sa propre vie
est-elle impuissante pour améliorer le processus économique !
Absolument pas. Les règles capitalistes forment le régime économique le plus souple qui soit, on le retrouve aussi bien dans les cités Etat du Moyen-Age, où les banques n'hésitaient pas à inscrire dans leur comptabilité une affectation de leur produit pour les pauvres, que chez les communistes. Effectivement, l'homme fait ce qu'il veut dans ce cadre, mais celui-ci n'est rien d'autre que celui de la propriété privée ! Que je sache, on peut difficilement remettre en cause ce principe fondamental...
Quant à Hayek, il eût été plus honnête ou plus précis de citer son propos dans son intégralité:
"C'est une illusion fondamentale de croire que la raison humaine puisse définir des règles d'organisation ordonnées dans un but déterminé... L'homme n'est pas maître de son destin et ne le sera jamais ”
Autant au niveau politique, on peut ne pas être d'accord avec Hayek, autant au niveau économique, les règles d'organisation sont sans cesse différentes, la phrase prend un tout autre sens.
Le mal n’est jamais dans l’homme, mais dans le dysfonctionnement du système économique engendré par l’intervention de l’État. Cette vision de l’homme balaie l’anthropologie chrétienne basée sur
la dignité de la personne créée à l’image de Dieu, personne néanmoins blessée par le péché originel qui le rend responsable d’une partie du mal qui l’entoure.
Certains libéraux pensent que l'homme est effectivement naturellement bon, à l'instar de Rousseau. Je ne partage pas cette vision, mais je suis sûr que chaque homme, dans la vie économique, sait ce qu'il y a de mieux pour lui, c'est le principe de subsidiarité, le fait de déléguer la prise de responsabilité au plus bas niveau possible. Et du moment que cela ne va pas à l'encontre du bien commun, que ce soit la drogue, le porno, etc, je ne vois pas pourquoi il faudrait lui mettre des bâtons dans les roues, sous prétexte qu'il est pécheur.
Le système décrit ici est bien celui qui nous gouverne aujourd’hui. Conformément à la loi du profit maximum, le capitalisme s’inscrit désormais dans une logique purement financière, basée sur la
spéculation et le rendement de l’argent. Les hommes, dans ces immenses multinationales anonymes, ne sont plus que des pions que l’on déplace ou dont on se débarrasse selon des critères purement
financiers.
Et en quoi est-ce mal que le système soit basé sur la spéculation ? La spéculation, c'est justement l'outil qui permet de détecter les décalages et les besoins grandissants, les manques de logistique non anticipés par les intervenants. Ainsi, la hausse du pétrole, qu'on peut attribuer en partie seulement à la spéculation est la meilleure preuve que la ressource en pétrole va se raréfier, qu'il est temps de changer de mode de vie. Or quoi de mieux pour cela, qu'un pétrole cher ? Si le prix était fixé, il n'y aurait nulle incitation et nulle volonté de la part des acteurs de changer de mode de vie. Il n'y aurait pas de prise de conscience de la menace d'une réduction de la quantité de pétrole disponible.
L’écart se creuse
Ce libéralisme, plaident ses défenseurs, a au moins le mérite d’être le système le plus efficace, celui qui crée le plus de richesses. En chiffres absolus, c’est peut-être exact, mais, outre que la croissance n’est pas une fin en soi (elle contribue à dégrader notre art de vivre et notre environnement), elle cache d’énormes disparités : elle ne diminue pas l’écart entre riches et pauvres. Depuis le déclin du communisme en 1989-1990 qui a fait du libéralisme le système mondial totalement hégémonique, les riches deviennent plus riches, les plus pauvres demeurent pauvres.
Ce libéralisme, plaident ses défenseurs, a au moins le mérite d’être le système le plus efficace, celui qui crée le plus de richesses. En chiffres absolus, c’est peut-être exact, mais, outre que la croissance n’est pas une fin en soi (elle contribue à dégrader notre art de vivre et notre environnement), elle cache d’énormes disparités : elle ne diminue pas l’écart entre riches et pauvres. Depuis le déclin du communisme en 1989-1990 qui a fait du libéralisme le système mondial totalement hégémonique, les riches deviennent plus riches, les plus pauvres demeurent pauvres.
Rien que l'exemple de la Chine vient contredire cette dernière phrase. Le libéralisme a permis à une d'accroitre le niveau de vie d'une population toujours plus importante. Non seulement le niveau de vie a été amélioré qualitativement, mais aussi quantitativement. Ce à quoi Geoffroy me répondra que cela s'est fait aux dépens de la spiritualité. Certes, mais est-ce le but d'un système économique, donc logistique, de satisfaire ce besoin ?
Et ce n'est pas qu'en chiffres absolus. Il suffit de voir qu'en 1950, seul l'Europe, et l'Amérique du Nord étaient développés, et de constater qu'aujourd'hui, on peut y inclure l'Asie et l'Amérique du Sud, l'Afrique demeurant encore à la traine. Ce n'est pas vraiment un échec, bien au contraire.
Quant à l'écart entre riches et pauvres, cette étude modère le propos de Geoffroy. D'autant que je ne vois pas bien en quoi les catholiques devraient être pour une société égalitaire. L'égalité spirituelle, l'égalité devant Dieu, n'est pas l'égalité matérielle. Les catholiques ne sont pas des communistes. Oui à la charité, mais non à la collectivisation des moyens de production, quant tout le monde possède, plus personne ne possède.
Ainsi justifient-ils le travail des enfants 9 à 12 heures par jour au xixe siècle comme un passage obligé de développement : il n’y a là rien d’immoral, puisque les enfants acceptent de
travailler ainsi pour ne pas mourir !
Et au Moyen Age, dès 13 ans, on pouvait se retrouver sur un champ de bataille à porter l'étendard. A tout prendre, je crois que le XIXe est encore enviable. Mais effectivement l'école pour tous les enfants est un luxe que tous les pays ne peuvent se permettre. Le niveau de développement d'un pays nécessaire pour que l'école soit disponible pour tous n'est pas à la portée de pays faiblement évolués économiquement.
En outre, les enfants, de tout temps, ont représenté une ressource financière pour les vieux jours de leurs parents, jusqu'il y a un siècle, il était logique, voire évident, qu'ils travaillent. En disant cela, je ne justifie aucunement l'exploitation des enfants, je ne justifie pas qu'ils meurent à la tâche ou quoi que ce soit de ce genre, je constate juste que le travail des enfants est inévitable et que l'école, dans beaucoup de pays, est considéré comme inutile car ne rapportant pas de sous à la famille.
On aborde là l’aspect le plus insupportable du libéralisme : son refus d’institutionnaliser des solidarités humaines au nom de l’individualisme, du déterminisme économique et de son rejet du
bien (donc d’une attitude morale), quand, dans le même temps, il absolutise la propriété privée qui n’impose pour lui aucune obligation sociale, aucun devoir moral. Pour le vrai libéral,
toute intervention de l’État en économie est toujours néfaste.
Il n’y aurait par exemple aucune « injustice » dans un salaire de misère dès lors que celui-ci s’équilibre naturellement sur le marché du travail par le libre jeu concurrentiel de l’offre et de la demande : « Les considérations de justice, écrit Hayek, n’ont simplement aucun sens à l’égard de la détermination d’une expression chiffrée (les salaires) qui ne relève de la volonté ni du désir de quiconque, mais de circonstances dont personne ne connaît la totalité. […] Tout se passe comme dans un jeu, où le résultat est imprévisible et au cours duquel il y a régulièrement des gagnants et des perdants. Et comme dans le jeu, alors que nous insistons à bon droit pour qu’il soit loyal, il serait absurde de demander que les résultats pour chaque joueur soient justes » (11). C’est pourquoi toute politique de redistribution est pour Hayek sans fondement. « Une grande partie de ce que l’on fait actuellement au nom de la “justice sociale”, écrit-il, est non seulement injuste mais hautement antisocial au sens véritable du mot » (12).
Il n’y aurait par exemple aucune « injustice » dans un salaire de misère dès lors que celui-ci s’équilibre naturellement sur le marché du travail par le libre jeu concurrentiel de l’offre et de la demande : « Les considérations de justice, écrit Hayek, n’ont simplement aucun sens à l’égard de la détermination d’une expression chiffrée (les salaires) qui ne relève de la volonté ni du désir de quiconque, mais de circonstances dont personne ne connaît la totalité. […] Tout se passe comme dans un jeu, où le résultat est imprévisible et au cours duquel il y a régulièrement des gagnants et des perdants. Et comme dans le jeu, alors que nous insistons à bon droit pour qu’il soit loyal, il serait absurde de demander que les résultats pour chaque joueur soient justes » (11). C’est pourquoi toute politique de redistribution est pour Hayek sans fondement. « Une grande partie de ce que l’on fait actuellement au nom de la “justice sociale”, écrit-il, est non seulement injuste mais hautement antisocial au sens véritable du mot » (12).
Le problème de l'institutionnalisation des aides est toujours le même problème : celui de la connaissance et de la répartition de l'information sur un marché. Est-il possible qu'un Etat, avec ses règles administratives strictes, puisse déterminer qui doit être aidé, qui a un comportement de passager clandestin, qui profite des aides, tout en travaillant au noir en parallèle, qui est vraiment dans le besoin ? On peut en douter, notamment lorsque l'on constate la gabegie de notre Etat, et les effets pervers induits. Ainsi, un fonctionnaire, dont le poste n'est pas soumis aux mêmes contraintes qu'un responsable associatif soucieux d'efficacité, peut avoir donc une politique d'aides radicalement différente et moins propice à avoir des effets concrets sur le terrain. D'autant que, comme par hasard, les montants les plus importants de prélevements sont pris sur les masses laborieuses, sur les classes moyennes qui sont à peine mieux lotis que les populations que l'Etat cherche à aider. C'est deshabiller Pierre pour vêtir Paul.
Par contre, les libéraux n'ont rien contre des associations de charité proches du terrain et qui choisissent au cas par cas, les personnes qu'elles souhaitent aider. Donc, les libéraux ne sont pas hostiles à la charité, ils ne sont aucunement hostiles à une attitude morale, ils sont hostiles à l'institutionnalisation. Les libéraux ne rejettent aucunement le bien, ils veulent juste éviter de l'imposer à tous par la force, ce qui rejoint les principes de subsidiarité et de non-agression chers à l'Eglise Catholique.
En outre, à titre personnel, je pense que sur certains sujets précis, l'intervention de l'Etat peut être salutaire. Mais il me semble qu'il doit s'agir de politiques ponctuelles résultant d'un désiquilibre exceptionnel plus que d'une institutionnalisation d'une politique d'aides qui engendre nécessairement des effets pervers.
Enfin, la logique libérale tend à remettre en cause le cadre national, frein au commerce mondial. L’économiste libéral Jean-Jacques Rosa écrit par exemple : « nous, nous sommes de notre temps :
mondialistes » (13). Et le philosophe libéral Karl Popper va plus loin : « Le principe des nationalités ou de l’État-Nation est d’autant plus indéfendable qu’aucun critère territorial, racial,
linguistique, culturel ou religieux ne permet de définir clairement en quoi consiste une nation » (14).
Finalement, le primat de la (fausse) liberté caractéristique du libéralisme met en évidence son unité profonde entre ses composantes philosophique, politique et économique. Il conduit à un monde concurrentiel, froid et inhumain – le « struggle for life ». Il faut refuser son hégémonie en commençant par le combattre intellectuellement.
Finalement, le primat de la (fausse) liberté caractéristique du libéralisme met en évidence son unité profonde entre ses composantes philosophique, politique et économique. Il conduit à un monde concurrentiel, froid et inhumain – le « struggle for life ». Il faut refuser son hégémonie en commençant par le combattre intellectuellement.
Non, le libéralisme économique ne se conçoit pas uniquement dans le cadre du libéralisme philosophique, l'exemple des cités états italiennes étant là pour le contredire. Par contre, le monde froid et inhumain du "struggle for life" n'est ce pas le monde tel qu'il est et tel qu'il a toujours été, suite à la chute du paradis originel ? En outre, je me demande bien où Geoffroy aurait vu qu'à la tête d'un Etat, il n'y a pas de "struggle for life" ? Au contraire, c'est justement là qu'on peut voir que les rivalités sont les plus violentes....