La hausse du prix du baril n'est pas spéculative.

Publié le 10 Avril 2008

Et c'est le patron de l'Institut français du pétrole, Nicolas Appert, dans un entretien à la Tribune, qui le dit. Oui, je sais, je radote, mais la pédagogie, n'est-ce pas de la répétition ?

 


Le prix du baril de pétrole évolue autour des 100 dollars. À quoi attribuez-vous la hausse de ces derniers mois ?

Depuis 2004, on a assisté à un changement de paradigme sur le marché pétrolier, déclenché par la forte croissance de la demande de pétrole, en particulier de la Chine et de l'Inde, mais aussi de la demande de gaz naturel, de matières premières agricoles et de ressources naturelles. L'offre a eu du mal à suivre car durant les dix à quinze années précédentes, les prix n'avaient pas été très rémunérateurs pour réaliser des investissements. Dans un premier temps, la hausse de la demande a été satisfaite par les pays de l'Opep. Cette situation a permis aux stocks de rester à peu près au même niveau. Mais, l'an dernier, l'offre des pays producteurs n'a pas pu suivre l'augmentation de la demande. La satisfaction de la demande s'est faite par un déstockage. Pour maintenir le niveau des stocks, il faudrait une augmentation de l'ordre de 0,8 million de barils par jour...

 

D'aucuns estiment que la hausse du prix du baril s'explique par la spéculation intense sur les marchés pétroliers...

Il n'y a pas beaucoup d'études convaincantes sur ce sujet. Dès qu'on parle de spéculation, on aborde un sujet très passionnel. Ce n'est pas moral de spéculer. Aussi il faut s'en tenir strictement aux faits. Le marché pétrolier compte un marché physique et un marché papier. Il y a eu une augmentation importante des transactions sur le marché papier ces dernières années et une hausse du prix du baril. Y a-t-il une relation de causalité entre les deux ? Deux thèses s'opposent. Certains vont jusqu'à prétendre que la spéculation représente 20 à 30 dollars sur un prix du baril de 100 dollars. D'autres considèrent — j'en fais partie — qu'en fait la spéculation — qui est l'intervention d'opérateurs non commerciaux sur le marché papier — a tendance à augmenter la volatilité du marché mais pas forcément le niveau des prix.

 

Pourquoi y a-t-il un attrait pour le marché papier du pétrole ?

Les statistiques montrent une corrélation étroite entre le prix du pétrole et la parité euro/dollar. Mais aussi une corrélation étroite entre le prix du pétrole et les indices boursiers, entre le prix du pétrole et la croissance économique. Ce qui signifie que, dans un monde incertain — comme c'est le cas aujourd'hui —, le pétrole représente une valeur refuge, au même titre que l'or. Le parallélisme de l'augmentation des prix du pétrole et du cours de l'or est intéressant à observer sans qu'on puisse dire bien entendu que le cours de l'or augmente à cause du pétrole, ou que le cours du pétrole augmente parce que l'or augmente. Comme le pétrole dépend aussi de facteurs géopolitiques, c'est un marché volatil. Les intervenants sur les marchés apprécient la volatilité
 
 

Comment interprétez-vous le silence de l'Opep face à cette hausse du prix du baril ?

L'Opep a toujours été tiraillée. Derrière l'unanimité de façade, il y a toujours eu une opposition entre les colombes et les faucons. Les traders à Londres avaient coutume de dire que l'Opep était comme une théière, qui donne du bon thé lorsque l'eau est bouillante. L'Opep a joué un rôle important en 1998-1999 quand les prix du pétrole se sont effondrés jusqu'à 10 dollars le baril. Aujourd'hui, l'Opep n'a plus les moyens de contrôler le marché car ses capacites de production disponibles sont extrêmement faibles. Les spares capacities, les capacités de production pouvant être mobilisées pour faire face à un aléa sur le marché, que ce soit un aléa climatique, comme les cyclones Katrina ou Rita, ou géopolitique, comme la guerre du Golfe, sont extrêmement réduites. Elles sont de l'ordre de 2 à 3 millions de barils/jour, alors qu'elles étaient trois fois supérieures il y a dix ans. En 1990-1991, lors de la première guerre du Golfe, les 6 millions de barils/jour de la production irakienne et de la production koweïtienne ont été retirés du marché du jour au lendemain. Les capacités disponibles dans le reste des pays de l'Opep étaient suffisantes pour qu'après une période d'adaptation d'un à deux mois le marché soit convenablement équilibré. Aujourd'hui, la capacité disponible de l'Opep a été absorbée par la croissance de la demande chinoise et indienne.

 

Cela signifie-t-il que l'Opep n'a plus de marge de manoeuvre ?

L'Opep conserve la capacité de limiter la baisse des prix. Ses membres apprécient la source de profits que représente un prix élevé du baril. Ils s'y habituent, considérant que c'est un bon niveau. L'Opep nourrit cependant des inquiétudes. En 1998-1999, la chute des prix avait été liée à une décision malencontreuse d'augmenter à contretemps les quotas, et donc la production, au moment où se déclenchait la crise économique asiatique. Aujourd'hui, d'aucuns prédisent une récession aux États-Unis, la plus grave depuis 1930. Cette crise liée aux subprimes va-t-elle s'étendre à l'ensemble des pays. Ces incertitudes sur l'évolution de la demande expliquent la prudence actuelle des pays membres de l'Opep.

 

Certains membres de l'Opep nationalisent l'ensemble des ressources naturelles de leur pays. Quelles conséquences faut-il en attendre ?

L'augmentation du prix du pétrole a eu des effets tout à fait surprenants sur l'équilibre de l'offre et de la demande. Dans un marché normal, lorsque les prix augmentent, l'offre augmente, et la demande diminue. Dans le cas du marché du pétrole, l'augmentation des prix depuis 2003 s'est traduite par une réduction de l'offre, liée au développement du nationalisme pétrolier, mais aussi par une stagnation au niveau de la demande, qui n'a pas baissé, voire qui a augmenté dans certains pays. La demande de pétrole est soutenue par les pays émergents, par les pays producteurs - les pays de l'Opep représentent environ 20 % de la croissance de la demande de pétrole - et par les pays consommateurs. A cause de la taxation dans certains pays et des subventions dans d'autres, l'augmentation du prix du pétrole brut ne se constate que très partiellement au niveau du consommateur final. Entre 1995 et 2005, le doublement du prix du brut s'est traduit en moyenne au niveau mondial par une augmentation de 20 % en monnaie constante du prix à la pompe et par une baisse de 3 % à 4 % de la demande. Il y a donc eu absence de rééquilibrage entre l'offre et la demande. D'autant que le domaine minier, dans les pays producteurs, a tendance à se refermer progressivement. L'exemple de la Russie est caractéristique. En Arabie Saoudite, il y a une ouverture tout à fait limitée. L'Iran s'était ouvert, mais elle offre des contrats de partage de production peu attractifs. Les compagnies pétrolières internationales sont un peu dans la situation de l'individu qui cherche ses clés sous le lampadaire parce que c'est là qu'il y a de la lumière. Les compagnies n'ont pas la possibilité d'investir là où se trouvent les réserves. Elles investissent dans des domaines déjà très largement explorés, ou à très haute technologie.

 

Ce que vous dites là tempère la théorie du « peak oil », qui voudrait que l'on soit proche d'une limite des capacités de production...

Il y a un fait totalement incontestable. Les énergies fossiles par nature ne sont pas renouvelables. Cela étant, la notion de réserves est une notion technico-économique. Un gisement de pétrole n'est pas un lac sur lequel on peut faire du canoë ou une baignoire qui se vide et qui ne se remplit pas. C'est plutôt une éponge qu'on presse, dans laquelle il reste toujours un peu de liquide. Quelle est la pression que l'on met sur l'éponge ? C'est le niveau de prix et la technologie. En 1973, on considérait avoir trente ans de réserves devant nous. Or en 2003, on avait consommé environ 150 % des réserves que l'on estimait en 1973. On a, désormais, quarante ans de réserves devant nous. Les deux chocs pétroliers ont justifié, par exemple, les investissements en mer du Nord. Et les progrès technologiques ont permis d'investir là où ce n'était pas envisagé, notamment dans les bassins sédimentaires qui nécessitaient des forages profonds. Certains horizons géographiques n'ont toujours pas été prospectés. Les pays de l'Opep ont été largement sous-explorés. La production pétrolière risque d'atteindre un plateau, non par manque de réserves — car il en reste — mais par manque d'investissements. Le problème aujourd'hui n'est pas ce qu'il y a dans le sol, mais les difficultés économiques, financières et géopolitiques pour amener ce pétrole jusqu'au consommateur final.

 

Où en sont les recherches sur les substituts au pétrole ?

Il faut rappeler que 60 % à 70 % du pétrole est consommé dans les transports. Et que la consommation d'énergie dans les transports provient à 97 % de produits pétroliers. Dans les 3 % restants, en gros, il y a 1 % de biocarburants et 1 % à 2 % de gaz naturel. La diversification reste très faible malgré les efforts accomplis depuis des années. Qu'un secteur stratégique pour l'économie nationale et mondiale puisse dépendre d'une seule source d'énergie pose problème. Au risque d'être très politiquement incorrect, la première diversification du pétrole se trouve dans les biocarburants de première génération qu'il est de bon ton de décrier...



Outre leur manque d'inefficience, ils sont accusés de faire augmenter les prix des denrées de base, de mettre en péril l'approvisionnement alimentaire et de favoriser un déboisement accru de la planète...

Toute source d'énergie alternative a sa place. Mais la première diversification pour les transports, ce sont les biocarburants... à partir du moment où ils sont exploités de façon raisonnée, que leur bilan énergétique et environnemental est positif. En liaison avec l'Ademe, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, nous avons mené une étude sur les analyses de cycle de vie « du puits à la roue ». Quand on dit que le bilan environnemental des biocarburants est une catastrophe, encore faut-il savoir comment on mesure ce bilan... Ce n'est pas évident car il y a plusieurs intrants : la matière première, les engrais, l'énergie, etc. On produit des biocarburants, mais aussi des co-pro-duits utilisés dans l'alimentation animale ou delà glycérine. Comment affecte-t-on les intrants aux biocarburants ? C'est une question clé. Si on veut faire de l'éthanol comme cela se fait parfois, avec une distillation qui fonctionne au charbon, il est évident que le bilan environnemental sera négatif. Si la production de biocarburants entraîne une déforestation massive, le bilan est négatif. Tout excès est condamnable. Notre étude montre qu'en France, où il y a encore des espaces disponibles, le bilan des biocarburants est positif. Il subsiste une incertitude par rapport aux émissions de N2O (protoxyde d'azote). Le prix Nobel de chimie Crutzen estime que le N2O tiré des engrais a un effet de gaz à effet de serre important. Cela dépend des pratiques culturales. Il y a des travaux de recherche, mais le consensus, pour l'instant, est que les émissions de N2O sont relativement limitées.

 

A vous entendre, il faudrait réserver la production de biocarburants à l'Europe...

Je ne pense pas que la façon dont les biocarburants se développent en Europe conduise à des excès. Les biocarburants de première génération se heurteront à terme à une limite du fait de la concurrence entre les usages alimentaires et non alimentaires. cas de l'Europe, des études montrent que, au-delà de 5 %-7 % de biocarburants dans la consommation totale de carburants, on risque d'être confronté à cette concurrence alimentaire-non alimentaire.

Plutôt que d'exporter du blé pour fabriquer du pain, on risque alors de produire du blé pour produire des biocarburants,.. Pour aller au-delà, il est nécessaire de développer des biocarburants de deuxième génération qui permettent d'utiliser, soit la totalité de la plante, soit des matières premières agricoles non alimentaires (ce que les spécialistes appellent les matières ligno-cellulosiques : du bois, des décbets de bois, de la paille, etc.). Deux voies sont suivies en Europe et aux États-Unis : l'une est biochimique, qui consiste à traiter cette matière première par voie enzymatique, pour en produire de l'éthanol, après transformation en sucre, l'autre est la voie thermochimique, on gazéifie la matière première pour ensuite, avec des procédés pétroliers de conversion, produire un diesel de bonne qualité. Des projets sont en cours de montage en France sur ces deux voies.

 

Cela peut se faire à quel horizon ?

Un projet utilisant la voie biochimique devrait être prochainement lancé. Il faudra deux ans pour construire une unité. Après, il faudra la faire tourner pendant trois à cinq ans. Si on ne perd pas de temps, on saura en 2015 si l'on dispose d'un procédé opérationnel compétitif et s'il est possible de réaliser une première unité industrielle. Il faudra alors qu'un industriel prenne le risque de déployer le procédé. Les biocarburants de deuxième génération sont une voie prometteuse. Mais en tant que président d'un organisme de recherche, je me dois de rappeler tout le monde à la modestie. Nous ne sommes pas certains de réussir à développer un procédé compétitif. Survendre les biocarburants de deuxième génération peut nuire aux carburants de première génération... Il y a place pour les deux.

 

Vous explorez la piste des moteurs optimisés et des voitures hybrides. Ne partez-vous pas en retard par rapport aux constructeurs japonais ?

Il est courant de dire que les constructeurs automobiles français manquent d'imagination, qu'ils sont en retard au plan technologique et qu'un seul constructeur a une vision d'avenir, Toyota. Toyota a réussi à convaincre que véhicule hybride égale Prius, égale Toyota. Ce qui n'est pas tout à fait vrai, car le système de la Prius est semble-t-il coûteux. Alors que l'hybridation comporte toute une gamme qui va du tout-hybride - qui est le système de Toyota -à une hybridation réduite, par exemple le système stop-and-start développé par Valeo. Avec le stop-and-start, le moteur se coupe à l'arrêt. Ce qui permet de réduire de 15 % la consommation en ville. À terme, on peut aussi penser à des véhicules hybrides qui seraient rechargeables sur le réseau électrique.

 

Rédigé par Polydamas

Publié dans #Finance

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