Kahn prend sa retraite

Publié le 7 Janvier 2008

Entretien intéressant de Jean-François Kahn dans le Monde, à l'occasion de son départ à la retraite. Comme à l'accoutumée, il défend tout et le contraire de tout dans le même texte.

Ses saillies vont me manquer, pour une fois qu'il y avait un journaliste qui ne gardait pas sa langue dans sa poche. On se souvient de ses propos sur l'immigration ou sur le drapeau français notamment, même si l'on sent bien qu'il adopte ces positions, beaucoup plus par anticonformisme viscéral, que par conviction réelle.

Plusieurs éléments à signaler dont notamment celui-ci :
Vous dites qu'il faut "tout repenser" dans la presse. De quelle façon l'entendez-vous ?

Il faut tout remettre à plat. D'abord sur un plan technique : il n'y a pas de concurrence dans l'imprimerie et les coûts d'impression sont très chers. Malgré tous les efforts des Nouvelles Messageries de la presse parisienne (NMPP), le prix de distribution est trop élevé. Quand j'explique à des industriels le pourcentage qui passe dans la distribution, ils sont effarés. Idéologiquement, je suis favorable au système coopératif des NMPP, qui permet à tous d'être distribué partout. Mais c'est parce que Marianne a quitté les NMPP (début 2000) que nous nous en sommes sortis : 8 millions de francs (1,3 million d'euros) de coûts en moins sur une année !

On sait que le syndicat de la NMPP bloque toutes les tentatives d'ouverture du marché de l'imprimerie, et que ses cotisants sont plus que privilégiés. Mais rien n'y fait, malgré le constat d'échec que dresse JFK, il a tout de même le culot d'affirmer que non seulement, idéologiquement, il y demeure favorable mais qu'en plus, il reste hostile à l'économie de marché dans cette industrie.

Ce discours est typique de nos auto-proclamés intellectuels français. On sait que ça marche pas, on sait qu'il n'y a rien à faire, mais il faut quand même obliger le consommateur à payer pour une idéologie qui n'est pas la sienne. JFK, faudrait vraiment savoir ce que tu veux...

En outre, ce monsieur n'a visiblement pas l'air de connaitre les trésors d'ingéniosité que sont contraints de déployer les représentants de la presse nationale, qui ne s'en sortent qu'au prix de miracles chaque jour renouvelés, et ce, sans subventions, ou aide gracieuse d'un généreux mécène. Ces derniers, ne vivant que grace à l'aide de leurs lecteurs, sont probablement cent fois plus indépendants que JFK ne l'a jamais été, de toute sa carrière de journaliste.

Par ailleurs, autre constat qu'il établit:
Il faudrait donc appauvrir son vocabulaire et ses références ?

Oui, car beaucoup de gens de moins de 40 ans n'ont plus les références d'avant. Je reçois des lettres de lecteurs qui me disent qu'ils ne comprennent pas tout ce que j'écris. J'avais parlé du boulangisme, en référence au général Boulanger, ils pensaient que j'évoquais un pâtissier. J'ai écrit : "C'est une division du monde à la Yalta." Mais qui sait encore ce qu'est Yalta ? Je suis catastrophé que les jeunes ne connaissent plus l'histoire, mais il faut bien en tenir compte. Les journalistes sont furieux qu'on leur dise cela. Mais on ne doit pas faire comme les marxistes qui décrivent la réalité comme ils voudraient qu'elle soit, il faut s'adapter à elle.

Tout d'abord, on peut noter qu'il est assez étonnant de constater que ces personnes prennent le temps d'écrire une lettre au journal pour demander de plus amples explications, sans même faire l'effort de chercher sur Wikipédia, ou, mieux, d'ouvrir un dictionnaire. Pourtant, ce n'est vraiment pas ce qu'il y a de plus compliqué...

Autre aspect intéressant, JFK plaide pour le nivellement par le bas, au nom du pragmatisme.

Au lieu de redresser le niveau, de pondre des articles à vocation pédagogique sur le général Boulanger ou Yalta, JFK appelle à appauvrir le langage. On l'a connu plus réactionnaire. Pourtant il ferait mieux de chercher de son côté.

A force de crier au complot sarkozyste, à la main-mise de Sarko sur les médias, il ne fait rien d'autre que jouer le jeu de son adversaire, en étalant à longueur de colonnes sa détestation du sarkozysme et  par la même occasion, en appauvrissant considérablement le champ du débat. En effet, Sarko a le génie de donner aux médias ce qu'ils veulent, c'est à dire une actualité, un emploi du temps, une thématique tous les jours ou presque. La véritable opposition pour JFK, au lieu de crier contre cette instrumentalisation des médias, est donc, loin de rentrer dans le jeu du président, d'aborder des articles de fond, de développer la culture, de ne pas parler de Sarko, de jouer  l'indifférence. Mais c'est probablement un exercice trop dur pour JFK, qui lui aussi, cède au charme du narcissisme, en n'hésitant pas à faire publier par le journal dont il est rédacteur en chef, Marianne, une critique dithyrambique ainsi que les bonnes feuilles de son dernier bouquin. On a connu rédaction plus indépendante que celle-ci.

La culture Harry Potter n'est pas une fatalité, et JFK aurait pu lutter contre. Par des articles sur Yalta, des dossiers historiques sur la IIIe République, cela n'aurait pas manqué d'intérêt. Mais cela, JFK n'en veut point, ce qui l'intéresse, c'est le débat, l'invective, quitte à se contredire toutes les cinq minutes, c'est pas grave, du moment que cela donne l'occasion de faire un bon mot.

En fait, ce qui va me manquer chez Kahn, c'est cette outrance, cette espèce de suffisance, cette impossibilité d'analyser et de tirer des leçons de ses propres contradictions. Mais gageons que le silence l'insupporte et qu'il reviendra rapidement sur nos écrans nous vendre ses derniers bouquins, écrits du fond de sa retraite médiatique. On ne se débarrasse pas ainsi d'un sparadrap professionnel.

A bientôt, donc.

Rédigé par Polydamas

Publié dans #Médias

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R
"Ils ne vont tout de même pas mâcher tout le boulot à leurs lecteurs." (Polydamas)Très bonne synthèse de la mentalité du journaliste français (ou du commerçant français, du fonctionnaire français, etc).Dans la plupart des autres pays du monde, le journaliste pense que son boulot consiste précisément à mâcher le boulot à ses lecteurs, le commerçant pense que son boulot consiste à aller au-devant des besoins de ses clients, et il arrive même que les fonctionnaires pensent que leur boulot consiste à être au service du public.Pas dans le MSF, modèle social français que le monde entier nous envie, paraît-il (mais il le dit pas fort).
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P
Euh, ouais mais non.Les journalistes sont payés pour donner de l'info, tant mieux si ils peuvent le faire avec un vocabulaire soigné. Si c'est pour hacher la lecture avec l'explication des termes un tout peu moins communs qu'ils utilisent d'habitude, ce n'est pas la peine. Ce serait des termes techniques dans un domaine de spécialisation bien précis, je serais d'accord, mais quand il s'agit juste d'ouvrir son dico, le lecteur peut et DOIT le faire.Et je ne pense pas faire de l'élitisme surrané en pensant ainsi, je suis intimement persuadé que les fonctionnaires sont au service du public, et que les commerçants doivent s'adapter aux besoins de leur clients.
D
De tout façon il ne faut pas trop attendre des journalistes qui brillent plus par leur inculture que par leur savoir.
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R
Dang, je me suis mal fait comprendre. Je ne reproche pas tant à JFK d'utiliser le mot boulangisme que de ne pas l'expliquer aussitôt. C'est ce que font les journalistes anglo-saxons, y compris pour des termes ou des notions censés être largement plus connus que le boulangisme.Et puis vous avez aussi ce tic poussé à l'extrême chez les journalistes français: utiliser systématiquement un terme rare et recherché qui pourrait aisément être remplacé par une tournure accessible à tous, sans perte de sens.Exemple: le mot éponyme. Qui sait ce que cela veut dire? Qui utilise ce mot ? Pratiquement personne. Quand lisez-vous ce mot dans des livres? Pratiquement jamais. Quand le lisez-vous dans des journaux? Très souvent.Manifestation de snobisme puéril. Mépris du lecteur.
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P
Mouais, tout de même, il n'est pas hallucinant d'envisager que des journalistes utilisent des termes un peu élégants, un peu snobs, sans les expliquer, ils ne vont tout de même pas mâcher tout le boulot à leur lecteurs.D'autant que l'exemple "éponyme" est mal choisi, parce qu'il est constamment mal utilisé. Dans la bouche des journalistes, il faut comprendre "appelé du même nom" alors que la véritable signification est littérare et s'applique à un roman dont le titre est le même que le nom du personneage principal.On assiste là à un changement de sens.
J
sans blaguer? Il prend sa retraite lui! Faites péter le champagne!
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P
Te réjouis pas trop vite, il va nous revenir comme commentateur, tu vas voir...
F
Oui Très bien vu. Je crois que JFK veut tout et son contraire. Il veut être aimé par tout le monde et c'est pour cela qu' il me plaisait avant mais il y avait trop de contradictions dans lui pour que je continue à l'écouter. Cela fait d'ailleurs quelques années que je n'achetais plus son canard
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