De l'universalisme

Publié le 18 Juillet 2007

Vu ici.

La simple proclamation de l'égalité naturelle entre tous les hommes et la fraternité qui doit les unir, sans distinction de races ou de cultures, a quelque chose de décevant pour l'esprit, parce qu'elle néglige une diversité de fait, qui s'impose à l'observation et dont il ne suffit pas de dire qu'elle n'affecte pas le fond du problème pour que l'on soit théoriquement et pratiquement autorisé à faire comme si elle n'existait pas. Ainsi le préambule à la seconde déclaration de l'Unesco sur le problème des races remarque judicieusement que ce qui convainc l'homme de la rue que les races existent, c'est l'évidence immédiate de ses sens quand il aperçoit ensemble un Africain, un Européen, un Asiatique, et un Indien américain.

Les grandes déclarations des droits de l'homme ont, elles aussi, cette force et cette faiblesse d'énoncer un idéal trop souvent oublieux du fait que l'homme ne réalise pas sa nature dans une humanité abstraite, mais dans des cultures traditionnelles ou les changements les plus révolutionnaires laissent subsister des pans entiers et s'expliquent eux-mêmes en fonction d'une situation strictement définie dans le temps et dans l'espace. Pris entre la double tentation de condamner des expériences qui le heurtent affectivement, et de nier des différences qu'il ne comprend pas intellectuellement, l'homme moderne s'est livré à cents spéculations philosophiques et sociologiques pour établir de vains compromis entre ces pôles contradictoires, et rendre compte de la diversité des cultures tout en cherchant à supprimer ce qu'elle conserve pour lui de scandaleux et de choquant.

Mais, si différentes et parfois si bizarres qu'elles puissent être, toutes ces spéculations se ramènent en fait à une seule recette, que le terme faux évolutionnisme est sans doute le mieux apte à caractériser.

En quoi consiste-t-elle ?

Très exactement, il s'agit d'une tentative pour supprimer la diversité des cultures tout en feignant de la reconnaître pleinement
.

Extrait de Race et Histoire 

Lévi-Strauss, de l'Académie française


Et l' on pourrait compléter avec ces propos, tirés de Race et Culture, du même auteur:


Des communautés minoritaires qu'on voit aujourd'hui apparaître en plusieurs points du monde, tels les hippies, ne se distinguent pas du gros de la population par la race, mais seulement par le genre de vie, la moralité, la coiffure et le costume; les sentiments de répulsion, d'hostilité parfois, qu'elles inspirent au plus grand nombre sont-ils substantiellement différents des haines raciales, et ferions-nous donc accomplir aux gens un véritable progrès si nous nous contentions de dissiper les préjugés spéciaux sur lesquels celles-ci seules, entendues au sens strict, peuvent être dites reposer?

(...)

Sans doute nous berçons-nous du rêve que l'égalité et la fraternité régneront un jour entre les hommes sans que soit compromise leur diversité. Mais si l'humanité ne se résigne pas à devenir la consommatrice stérile des seules valeurs qu'elle a su créer dans le passé (...), elle devra réapprendre que toute création véritable implique une certaine surdité à l'appel d'autres valeurs, pouvant aller jusqu'à leur refus, sinon même leur négation.

Car on ne peut, à la fois, se fondre dans la jouissance de l'autre, s'identifier à lui, et se maintenir différent. Pleinement réussie, la communication intégrale avec l'autre condamne, à plus ou moins brève échéance, l'originalité de sa et de ma création. Les grandes époques créatrices furent celles où la communication était devenue suffisante pour que des partenaires éloignés se stimulent, sans être cependant assez fréquente et rapide pour que les obstacles indispensables entre les individus comme entre les groupes s'amenuisent au point que des échanges trop faciles égalisent et confondent leur diversité.

(...)

Convaincus que l'évolution culturelle et l'évolution organique sont solidaires, [l'ethnologue et le biologiste] savent que le retour au passé est impossible, certes, mais aussi que la voie où les hommes sont présentement engagés accumule des tensions telles que les haines raciales offrent une bien pauvre image du régime d'intolérance exacerbée qui risque de s'instaurer demain, sans même que les différences ethniques doivent lui servir de prétexte.

Pour circonvenir ces périls, ceux d'aujourd'hui et ceux, plus redoutables encore, d'un proche avenir, il faut nous persuader que leurs causes sont beaucoup plus profondes que celles simplement imputables à l'ignorance et aux préjugés: nous ne pouvons mettre notre espérance que dans un changement du cours de l'histoire, plus malaisé encore à obtenir qu'un progrès dans celui des idées.

Voilà la raison pour laquelle l'expression  "citoyen du monde" m'est toujours apparu comme au pire une supercherie, au mieux une douce illusion....

 

Rédigé par Polydamas

Publié dans #Société

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A
"je pense juste qu'il y a des communautés qui sont mieux intégrables que d'autres."Encore une fois tu te places que d'un seul coté et tu oublies le relativisme...ta communauté Y à toi sera plus facilement compatible avec la communauté X que Z ou W, mais pour Z, ca sera la W....Or lorsque tu dis qu'il y a des communautés plus "intégrables" que les autres, tu dois surement faire réference a certaines cultures qui sont plus difficillement solubles dans les communautés judéo chrétiennes démocrates...seulement pour ces communautés,  ta communauté judéo chrétienne démocrate à toi sera difficilement intégrable à leur propre communauté..il n'y a donc pas de communauté plus intégrable qu'une autre (car la encore tu exprimes une hiérarchie et non une différence), mais il y a des communautés plus ou moins compatibles avec les autres (qui est l'expression d'une différence)je suis tout a fait d'accord avec alban pour dire que l'on a tendance a confondre égalité en droit et égalité comme ideal (que je prefere appeler égalitarisme...car c'est limite une régime politique :)ton exemple du bac en est la parfaite illustration : l'egalitarisme conduit au nivellement par le bas et à la médiocrité. l'égalité en droit encourage l'homme au mérite et au dépassement de soi...c'est comme cela que je différencie le socialisme et le libertarianisme
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P
Ah oui, sauf que je ne suis pas un relativiste, je pense que notre civilisation a beaucoup apporté, sans qu'on ne soit obligé d'y voir une forme de racisme. Mais sinon, tu as raison, il y a des civilisations plus compatibles que d'autres.
A
«La simple proclamation de l'égalité naturelle entre tous les hommes (...) sans distinction de races ou de cultures (...) néglige une diversité de fait, qui s'impose à l'observation (...) Les grandes déclarations des droits de l'homme ont, elles aussi, cette force et cette faiblesse d'énoncer un idéal trop souvent oublieux du fait que l'homme ne réalise pas sa nature dans une humanité abstraite, mais dans des cultures traditionnelles» Je ne connais pas _Race et Histoire_ de Lévi-Strauss, je peux donc mal interpréter ce texte. Cependant, il me semble que le passage que je cite montre une incompréhension des déclarations des droits de l'homme. Si je prends exemple sur la déclaration universelle des droits de l'homme (DUDH), on ne prétend à aucun endroit qu'il existerait une égalité de fait. Partout où le mot "égalité" apparait, il est précisé en effet la portée de ce mot "égalité". Ainsi, l'article 1 dit: «Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits.» L'égalité en dignité et en droits n'implique absolument pas une égalité comme fait ou comme idéal. L'idéal que cette déclaration énonce n'est pas l'égalité naturelle entre tous les hommes. Cette déclaration n'affirme pas non plus l'absence de différence entre les hommes car ce n'est pas son objet. Les différentes mentions du mot "égalité" précisent toujours, à juste titre, qu'il s'agit d'une égalité en droit.
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P
Tout à fait d'accord avec vous sur les principes.Sauf qu'aujourd'hui, avec un bac à 80% d'une génération, et bien d'autres faits significatifs, l'égalité ne signifie plus rien d'autre que le nivellement par le bas...
A
encore une fois on semble confondre les mots différenciation et hiérarchisation, équité et égalité / égalitarisme...nier et effacer les différences est ridicule et stupide, hiérarchiser les différences est également stupide car la notion de hiérarchisation implique les notions de supériorité et d'inferiorité, qui sont des notions abstraites et non concretespour faire simple : un français est différent d'un étranger, c'est un fait concret, une différence à noter. un français est supérieur/inférieur à un étranger, est un notion abstraite, donc par définition, réfutable.il est evident que la diversité culturelle doit etre préservée, cela ne veut pas dire que la diversité culturelle est hermétique car toute culture évolue ou qu'elle doit etre classifiée, hiérarchisée.Apprendre des différences des autres c'est progresser, rester vers ses semblables, meme si c'est naturellement humain (vu que tout le monde le fait, moi la première) c'est arreter de progresser.Après, chacun se positionne comme il l'entend. soit il choisit la facilité, soit il choisit le challenge ! (histoire d'illustrer : avoir une relation avec qq d'une autre culture, meme de sa propre "race" est une expérience qui apprend beaucoup là dessus)quant à l'égalitarisme, il faut reconnaitre la différence entre l'equité et l'égalité....l'équité c'est donner les memes chances et les memes moyens à tout le monde, mais reconnaitre que le résultat à l'arrivée ne sera pas le meme pour tout le monde...l'égalitarisme, c'est fermer les yeux sur les différences, mais encore une fois, cette notion est eloignée de la notion de supérieur ou d'inférieur...ou de hiérarchisation des cultures ou des races car ce qui est supérieur pour l'un peut être inférieur pour l'autre, etc.En gros, tout est relatif....et surtout, tout doit etre individualisé, et non généralisé.pour conclure : celui qui croit à la hiérarchisation des races (car je sens ici la tentative de justification des bourdes absolument refutées scientifiquement de sieur le pen) est aussi abruti que celui qui refuse la différence et qui veut mettre tout le monde dans le meme sac (l'utopiste d'extreme gauche, le meilleur ami du gars précedemment cité en général.... :)Accepter et reconnaitre la différence de l'autre, sans la juger, mais sans pour autant se dire qu'il a raison, est un long processus qui nécessite de se remettre souvent en question, mais également d'accepter et de connaitre qui l'on est...pfff....ca faisait longtemps que javais pas fait un tel speech...:)
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P
Tu devrais réouvrir ton blog.... ;-)Sinon, non, je ne cherche absolument pas à justifier la supériorité d'une quelconque race, ma religion me l'interdit, je ne suis pas d'accord avec le Pen là-dessus, je pense juste qu'il y a des communautés qui sont mieux intégrables que d'autres.Non, je cherche juste à reaffirmer tout ce que tu as justement dit. Mais ce propos, à l'instar de Levi-Strauss serait presque considéré comme du racisme aujourd'hui....
G
Personnellement si quelqu'un se dit "citoyen du monde", cela ne me gêne pas du tout. Car bien que ce soit faux de toute évidence et qu'il ne s'agisse de la part de cette personne que d'une utopie dont il veut se convaincre, en général il ne se contentent pas de son doux rêve, il veut l'infliger au monde entier.Or, pour moi un monde sans frontières ni spécificités, ni différences, ni particularités est le pire des mondes. Il me semble qu'il faut qu'il y ait une hyérarchie entre chaque individu et les autres. Qui aille du particulier au général: J'aime d'abord ma famille, même si tous les membres ne sont pas de même race ni de même nationalité, ni de même fonctions, ni de même religion. Elle est ma famille. Je suis Française et à l'étranger quel plaisir de retrouver un Français et d'évoquer nos points communs! Je suis catholique, or quel plaisir d'aller à une messe dans n'importe quelle église du monde! Je suis médecin, et j'aurais toujours des points communs avec n'importe quel médecin de la terre, etc.  Donc gommer toutes les différences, quelle horreur! Ce sont nos points communs qui nous rassemblent et touchent aux sentiments!
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P
Bien d'accord avec vous.